En 1972, au large de Riace, un plongeur amateur, Stefano Mariottini, aperçut un bras qui dépassait du sable. Le jeune homme allait découvrir deux des sculptures les plus étonnantes de l’art grec classique.
Transportées au Musée archéologique de Reggio di Calabria, à une centaine de kilomètres à l’ouest, les statues hautes de 2 m furent l’objet d’une restauration d’urgence.
A partir de 1974, six ans de travaux de recomposition furent menés au Centre de restauration de Florence. En 1981, les statues y furent enfin exposées au public, attirant plus de 500 000 visiteurs. À Rome, les queues atteignirent jusqu’à trois kilomètres de long.
Aujourd'hui, les guerriers de bronze sont les vedettes du Musée archéologique de Reggio Calabria et le strict protocole de visite est supervisé par des gardiens : pas plus de 20 mn, et pas plus de 20 visiteurs à la fois.
Avant d'entrer dans la salle à l'atmosphère contrôlée, on doit passer plusieurs minutes dans un sas de désinfection.
C'est enfin le moment où je vais voir ces statues dont je rêvais depuis le jour où j'en ai entendu parler !
Je trépigne d'impatience dans le sas où, par chance, je suis devant et à la première vision, je suis littéralement transportée d'émotion.
Mon premier geste a été de les photographier immédiatement, avant d'avoir des visiteurs dans le champ. Ensuite, j'ai pu les contempler tout à mon aise et c'est un régal pour les yeux.
Leurs noms sont décevants, en revanche : le premier guerrier s'appelle "Statue A" et le second... "Statue B".
Les statues ont été élaborées par fonte « à la cire perdue sur négatif », consistant à modeler, sur un squelette de fer, un prototype en argile que l’on cuisait. Une couche de cire était déposée sur sa surface, puis l’ensemble était moulé.
Ensuite, du bronze en fusion, introduit par un trou ménagé dans le moule, prenait la place de la cire fondue qui s’écoulait par un autre trou. L'épaisseur du bronze est en moyenne de 8 mm.
Les yeux sont en calcite avec des pupilles en pâte de verre et la caroncule lacrymale en pierre rose. Les mamelons, les cils et les lèvres sont en cuivre.
Dans le cas de la statue A, les dents, visibles, sont en argent.
Les accessoires ont disparu mais en se fondant sur les trous d'attache, les codes de la statuaire grec et des textes anciens, des chercheurs ont émis des hypothèses sur l'aspect d'origine des statues.
Selon les historiens de l’art Paolo Moreno et Daniele Castrizio, les statues aurait pu appartenir à un groupe qui représentant la lutte fratricide, pour le trône, entre Polynice et Étéocle, fils d’Œdipe et Jocaste, frères d'Antigone.
Par l'écrivain Tatien le Syrien au 2e siècle, on sait que Pythagore de Reggio fut exposé à Rome à l’époque impériale.
Dans ce cas, l’ensemble fut peut-être embarqué à Rome pour être transporté à Constantinople avec toute la collection impériale d’œuvres d’art, sur ordre de Constantin, sans jamais arriver à destination.
La statue B mesure 1,98 m et semble représenter un guerrier plus posé que la statue A.
Malheureusement, l'œil gauche a disparu, ce qui, avec sa tête un peu allongée et sa barbe plus plate, le rend un peu moins séduisant que son frère.
Pour Castrizio, les deux bronzes, pour lesquels des dates différentes ont été proposées sur le plan stylistique et avec des variations allant jusqu'à 50 ans, ont pratiquement le même âge. L'argile est la même pour les deux et provient de deux carrières situées à deux endroits très proches.
L'atelier ne pouvait être qu'à Argos, au 5e siècle avant JC, où était actif Pythagore de Reggio, l'artiste bronzier considéré par Pline parmi les excellents, avec Phidias, Mirone et Polyclète, dans l'atelier duquel travaillait son neveu Sostrate, qui a continué le travail.
Dans les années 1980, les experts de Reggio Calabria s’aperçurent que l’argile était restée incrustée sur les parois de métal, devenant un agent corrosif.
Entre 1992 et 1995, le Centre de restauration de Florence mena à bien le nettoyage de l'intérieur des statues à l'aide d'une micro-caméra et un bistouri à ultrasons.
Grâce à cette technologie, chaque statue, qui pesait 400 kg en entrant dans le laboratoire, fut allégée de 140 kg.
Le processus de reconstitution des chercheurs est visible sur ce site
On ignore la raison de la présence des statues au large de Riace, sachant qu'aucune trace de naufrage n’a été décelée à proximité.
Une hypothèse est qu’elles auraient été jetées à la mer par des marins pendant une tempête, afin d’alléger la cargaison du navire.
Une autre est que les bronzes auraient été ensevelis à un endroit plus tard recouvert par la mer, la côte ayant reculé d’environ 500 mètres depuis l’Antiquité.