A l'est de la Calabre, sur 120 km le long de la côte Ionienne de la province de Reggio di Calabria, on récolte 95% de la production mondiale de bergamote, qu'on surnomme “l’or de la Calabre”.
La bergamote est le nom courant du citrus bergamia. Le fruit est sphérique comme l’orange mais d'une couleur tirant plus vers le jaune. Contrairement aux autres agrumes, on ne le mange pas tel quel, bien que son jus soit comestible.
On récolte la bergamote principalement pour l'huile essentielle de son écorce, très appréciée des parfumeurs.
Le bergamotier serait apparu sous forme de semis, sans doute comme hybride, dans la région de Naples, plus précisément en Calabre, entre les 14e et 16e siècles.
Pour certains botanistes, le bergamotier serait issu d'un croisement entre un bigaradier et un limettier. Pour d'autres, ce serait un hybride apparu accidentellement à partir d'un citronnier.
En 1646 apparaît la première description écrite et l'illustration d'une variété de bergamote, aurantium stellatum et roseum, par Giovanni Battista Ferrari. En 1686, le Sicilien Procope introduit en France l'huile essentielle de bergamote dont le parfum est très apprécié à la cour de Louis XIV.
On ne sait pas non plus pourquoi cette plante a choisi la province de Reggio di Calabria pour croître et fructifier de manière quasi exclusive.
De nombreuses tentatives pour l’introduire dans d’autres régions d’Italie, d’Europe, d’Asie ou d’Amérique, n’ont pas été concluantes. En Afrique, elle est marginalement cultivée dans une région de la Côte d’Ivoire et au Maroc.
L'acclimatation résulte probablement de plusieurs facteurs : la très légère différence entre les températures nocturne et diurne ; la géomorphologie caractérisée par d’amples vallées parcourues par les fiumare, cours d’eau très caractéristiques de cette zone ; le sirocco qui apporte périodiquement en hiver des pluies abondantes et en été de la chaleur humide, alors que d’ordinaire la chaleur dans la région est sèche ; les sols alluviaux riches en substances minérales, l’eau abondante grâce à l’irrigation en été, quand chaque plante adulte reçoit entre 800 et 1000 litres tous les 15 jours...
Les bergamotes sont récoltées entre novembre et février. Plus il fait froid, plus leur couleur verte s’atténue et plus les fruits se parent de magnifiques nuances jaune-orangé
Tous ces facteurs concourent à la perfection organoleptique de l’huile essentielle de bergamote, extraite de la pelure par un procédé à froid grâce à des rouleaux cylindriques qui la râpent. Durant cette opération, le fruit est continuellement aspergé de petits jets d’eau sous pression qui, tout en lavant l’écorce, transportent dans des centrifugeuses l’huile essentielle qui est ensuite séparée de l’eau.
Ainsi recueillie, elle se compose d’environ 350 éléments chimiques qui la distinguent des autres huiles essentielles d’agrumes.
En fait la bergamote doit sa fortune à ses fameuses caractéristiques olfactives mais surtout à ses propriétés de fixateur. A l’époque où les parfums et les produits cosmétiques étaient composés exclusivement de produits naturels, l’huile essentielle de bergamote était considérée comme indispensable à la constitution des bouquet et elle était utilisée pour amalgamer toutes les essences contenues dans les parfums et en conserver la fragrance dans le temps.
C’est pourquoi la période qui va de l’apparition de la bergamote en Calabre (vers 1650) à la diffusion des produits de synthèse dans la cosmétique et dans la parfumerie mondiale (années 1950-60) fut appelée “l’âge d’or”.
Lorsque la plante est apparue à Reggio de Calabre, les premiers producteurs ont compris que de la pression à la main de l’écorce sur une éponge, ils pouvaient extraire une huile parfumée, aussitôt appelée aqua admirabilis, utilisée en médecine pour ses propriétés antiseptiques et antibactériennes naturelle.
Ce n’est qu’au début des années 1700 que l’usage de l’essence changea radicalement grâce à l’intuition d’un parfumeur de Vérone, Gian Paolo Feminis, qui vivait à Cologne, en Allemagne, et créa avec l’aqua admirabilis la première “eau de Cologne”, connue sous le nom de “4711”, du numéro du laboratoire où il travaillait.
A partir de ce moment, l’usage de l’essence de bergamote devint quasi exclusivement l’apanage de la parfumerie et de la cosmétique qui se développait lentement, surtout en France.
Néanmois, vers la fin des années 1700, à Nancy, naquirent les bonbons à la bergamote, devenus très vite un produit typique de la ville (cliquez sur ce lien pour voir mon article détaillé sur ces bonbons)
Puis, vers la fin des années 1800, le comte anglais, Sir Grey, propriétaire d’une vaste plantation de thé en Inde, eut l’intuition d’aromatiser les feuilles de thé indien avec la fragrance de l’essence de bergamote de Calabre. De ce mariage est né le thé Earl Grey, devenu depuis le siècle dernier l’un des thés aromatisés les plus bus au monde.
La période d’or de la bergamote qui a contribué au développement économique du sud de la Calabre a connu un tournant, malheureusement négatif, quand l’industrie chimique, dans les années 1950, a remplacé les substances naturelles par des produits chimiques.
La culture des “jardins de bergamote” devint de plus en plus onéreuse mais cela n’empêcha pas la majeure partie des producteurs de continuer à cultiver la bergamote dans la tradition. Cela s’explique peut-être par le fait que les Calabrais ont voulu résister, que dans les familles des vieux producteurs on se rappelait, avec regret, les années de l’âge d’or, ou peut-être parce que la fragrance emprisonnée dans l’huile essentielle rend optimiste : selon des scientifiques spécialistes de l’aromathérapie, l'odeur de bergamote met de bonne humeur, éloignant dépression et anxiété.
Chez un producteur, j'ai apprécié le sorbet subtil, avec de fins moceaux d'écorce.
J'ai goûté ensuite une boisson à base de bergamote, façon limonade, mais c'était affreusment sucré.
Finalement j'ai goûté le jus de bergamote nature, en bouteille ; ça n'avait pas le goût de l'écorce et ça ressemblait plus à du citron acide avec un peu de l'amertume de la peau blanche. J'ai bien aimé et c'était très rafraîchissant. J'ai lu après coup sur l'étiquette qu'il fallait mélanger un part de jus avec une part d'eau mais comme j'aime l'acidité, ça ne m'a même pas traversé l'esprit.
En revanche, je n'ai pas eu l'occasion de mordre dans le fruit lui-même car la boutique du producteur n'était pas à côté du verger.
Au cours des dernières décennies, une prise de conscience des bienfaits sur la santé de nombreux produits naturels a relancé, sur le marché mondial, l’utilisation de l’essence de bergamote, grâce au développement notamment de l’agriculture biologique. Cette nouvelle conscience mondiale a rendu courage aux producteurs de bergamote découragés par des années de crise et a fait que beaucoup ont relancé la culture de ce “fruit du paradis”.
L’Union européenne leur a prêté main forte en donnant la bergamote produit le label DOP - Denominazione di Origine Protetta, équivalent à l'AOC - Appellation d’origine contrôlée française.
Une demande a aussi été faite pour que les “jardins de bergamote” soient classés au patrimoine mondial de l’humanité.