Le musée des Beaux-Arts de Bordeaux a été fondé en 1801 et présente une collection allant du 15e au 20e siècle. Il est complété de la Galerie des Beaux-Arts pour des expositions temporaires mais elle était fermée lors de mon passage.
Il y a beaucoup de tableaux "à la manière de" ou "de l'école de" ; j'y ai néanmoins trouvé quelques pépites.
Le tableau qui suit est étonnant et mérite de connaître le contexte. Sous le titre L'Agriculture, il était accompagné au Salon de 1898, d'une vignette :
"Pénétré de cette vérité que l'Agriculture est la base de la prospérité des Etats, le peintre a représenté un père de famille qui, accompagné de sa femme et de sa jeune fille, vient visiter un laboureur au milieu de ses travaux. Il lui rend hommage en assistant à la leçon qu'il l'a prié de donner à son fils, dont il regarderait l'éducation comme imparfaite sans cette connaissance."
Le tableau épique suivant raconte un des hauts faits de la Marine bordelaise.
Le brick la Julia, commandé par le capitaine Desse du port de Bordeaux, se rendant à Bourbon, rencontra le 13 juillet 1822 le navire hollandais le Colombus, expédié de Batavia pour Amsterdam, ayant à bord un équipage nombreux.
Ce navire avait été assailli par une violente tempête qui lui avait enlevé le grand mât, l'artimon, le beaupré, brisé le gouvernail et la poupe. L'équipage n'attendait que la mort lorsqu'au lointain une voile parut : l'espoir renaquit chez les Hollandais, lorsqu'ils aperçurent le pavillon français.
La tempête était à son comble. Le capitaine Desse cria "Je ne vous abandonnerai pas", répété chaque fois que le danger redoublait. Le sauvetage dura cinq jours, et quatre vingt douze personnes furent recueillies à bord de la Julia
Trait de dévouement du capitaine Desse, de Bordeaux, envers Le Colombus, navire hollandais - Théodore Gudin, 1829
Le tableau suivant évoque un autre drame.
Le 13 septembre 1858, vers midi, le capitaine et le médecin chargèrent le maître d’équipage de fumiger l’entrepont de l'Austria avec de la vapeur de goudron.
Ce dernier voulut se servir d’une chaîne rougie au feu pour faire évaporer le goudron. Alors qu’il tenait l’extrémité de la chaîne dans sa main, l’autre bout s’échauffa tellement qu'il laissa tomber du fer rouge sur le pont.
Immédiatement, le bois s’enflamma et le goudron renversé prit feu.
Il fut impossible de mettre à l’eau tous les canots de sauvetage et d’autres, trop chargés, chavirèrent. Le naufrage fit 443 victimes. Seuls 97 survécurent à cette catastrophe.
Plus grand format jamais peint par Rosa Bonheur, l'oeuvre suivante est une scène de genre inspirée de la légende introduite par Frédéric Mistral dans Mirèio, celle d'un fermier avare ayant fait travailler à la foulaison, sans relâche ses chevaux, et qui en fut puni par la foudre qui mit le feu à sa grange et un tremblement de terre qui engloutit sa famille.
Dans son œuvre commencée en 1864 et restée inachevée à sa mort, Rosa Bonheur souhaitait montrer « le feu qui sort des naseaux des chevaux, la poussière qui jaillit sous leurs sabots ».
Au printemps 1878, un mois avant l'inauguration du Salon, le tableau suivant est brutalement exclu de la manifestation par l'administration des Beaux-Arts. Henri Gervex est pourtant un peintre reconnu, déjà médaillé au Salon, ce qui le rend en théorie "hors concours", dispensé des délibérations du jury. Cette fois les autorités en décident autrement, en raison du caractère jugé "immoral" de la scène.
Le tableau et inspiré d'un long poème d'Afred de Musset qui raconte le destin d'un jeune bourgeois, Jacques Rolla, sombrant dans une vie d'oisiveté et de débauche. Il rencontre Marie, adolescente qui se prostitue pour fuir la misère. On le voit ici, ruiné, les yeux tournés vers la jeune fille endormie. Il va bientôt mettre fin à ses jour en avalant du poison.
Si la scène est jugée indécente, ce n'est pas en raison de la nudité de Marie, qui ne diffère en rien des nus canoniques de l'époque, mais pour le désordre des vêtements jetés à la hâte, un jupon, une jarretière et un corset.
C'est Degas qui aurait conseillé à Gervex de mettre "un corset par terre" pour que l'on comprenne que cette femme "n'est pas un modèle". En effet, cette disposition et la nature des vêtements dessinent clairement le consentement de Marie et son statut de prostituée. De plus, la canne jaillissant des sous-vêtements pourrait se voir comme une métaphore de l'acte sexuel.
Après son exclusion du Salon, Rolla est exposé trois mois chez un marchand de tableaux parisien. Le scandale, dont la presse se fait largement l'écho, attire les foules.
Bien des années plus tard, dans des entretiens parus en 1924, Gervex raconte le plaisir qu'il eut à voir le "défilé ininterrompu de visites", sans que l'on sache s'il avait anticipé la réaction des autorités et provoqué volontairement la polémique.
J'ai découvert ici que Goya avait vécu et était mort à Bordeaux.
En 1824, âgé de 78 ans, Goya alors peintre à la cour d’Espagne, avait fui l’absolutisme du roi Charles IV et l’inquisition espagnole, avec sa jeune compagne Leocadia et leur petite fille Maria de Rosarie, âgée de 10 ans.
Dans la nuit du 15 au 16 avril 1828, Goya succomba à une attaque cérébrale et fut enterré au cimetière de la Chartreuse, avec son chapelet et sa palette... mais sans son crâne, comme on le découvrit en 1888 après que le Consul d'Espagne eu fait les démarches pour faire ramener le corps en Espagne.
Pourquoi manque le crâne ? Un faisceau d’indices accrédite la thèse qu’un certain docteur Gaubric, anatomiste bordelais de renom, aurait, avec l'accord de la veuve, pris la tête pour l'étudier
On était alors au début de la phrénologie, l’étude des dispositions morales et intellectuelles des hommes par la configuration de leur cerveau, et Goya aurait pu intéresser les scientifiques qui voulaient comprendre son génie, mais aussi sa constitution de colosse, sa surdité d’origine incertaine depuis l'âge de 46 ans, l’hémiplégie et l’aphasie à la toute fin de sa vie.
Le geste aurait eu lieu dans le laboratoire du professeur Brulatour, au sein de l’école de médecine de Bordeaux. C’est en tout cas ce que dit l’acte laissé par Gaubric dans le cercueil.
Pourtant, on en a perdu la trace du crâne de Goya. A priori, il fut conservé dans la salle d’anatomie de l’école de médecine pendant près d’un siècle avant de disparaître.
On retrouva sa trace dans les années 1950 au Sol y Sombra, un café espagnol du quartier des Capucins. Il semble qu’un carabin l'ait subtilisé pour lui éviter d’être jeté à la fosse commune du cimetière municipal quand l’école de médecine décida de renouveler son ossuaire.
Il été alors de coutume d’aller saluer ce héros national espagnol dans l’arrière-boutique. Or, en 1955, le Sol y Sombra ferma subitement à cause d'un crime passionnel. Tout le mobilier fut repris par un brocanteur du quartier Mériadeck où le crâne fut mis en vente dans ce qui était alors un marché aux puces.
Depuis, on a perdu la trace du crâne de Goya.