Naples - Sfogliatella et visite souterraine

Le jour commence sous une pluie battante... Espérant que l'averse s'arrête pour entamer une longue promenade, Valentina m'emmène chez Leopoldo pour le petit déjeuner.

S'il m'a été facile de commander le sacro-saint capuccino, le choix a été plus difficile quant à ce qui l'accompagnerait...

J'ai fini par choisir une sfogliatella. C'est une pâtisserie typique de la Campanie qui bénéficie d'une appellation au titre des « produits agroalimentaires traditionnels » italiens.

Elle peut être préparée avec de la pâte feuilletée (sfogliatella riccia) roulée en cône et étirée pour ressembler à un coquillage, ou avec de la pâte brisée (sfogliatella frolla). 

Elle est fourrée de ricotta, parfumée à la vanille ou à la cannelle, et d'écorces d'orange ou autres fruits confits.

La recette fut créée au XVIIIe siècle par les sœurs dans les cuisines du monastère de Santa Rosa de Lima, à Conca dei Marini, sur la côte amalfitaine, et prit le nom de santarosa en honneur de la sainte à qui était dédié le couvent.

En 1818, un aubergiste napolitain, Pasquale Pintauro, entra en possession de la recette de la santarosa et, en la modifiant, il inventa la sfogliatella.

La pâtisserie Pasquale Pintauro, bien qu'ayant changé de propriétaire, se trouve toujours, comme il y a deux cents ans, dans la via Toledo, à Naples. Néanmoins les sfogliatelle s'achètent dans toutes les pâtisseries dont regorge la ville.

J'ai choisi la sfogliatella frolla, dont le fourrage à la crème était rehaussé de zestes d'organge. Divin !

Après ce délicieux préambule, la pluie était toujours là donc adieu la grande balade à travers la ville. A la place, sur les conseils de Valentina, j'ai opté pour une visite bien abritée...

A côté de l'église de San Paolo Maggiore, dans le centre historique, se trouve un accès au sous-sol de Naples, dont le tuf a été creusé depuis l'Antiquité.

La visite est obligatoirement guidée ce qui n'est pas un luxe car on n'aimerait pas s'y perdre : certains boyaux ont à peine 70 cm de large et l'obscurité y est totale...

Il faut déjà entreprendre une descente de 140 marches à 40 mètres au-dessous de la route pour atteindre le niveau de l'adduction d'eau.

On peut ainsi voir certaine des  5000 cavités creusées dans le tuf volcanique depuis l'arrivée des Grecs au Ve siècle av. J.-C.

À l'époque d'Auguste, un énorme aqueduc y est construit prélevant l'eau des sources du fleuve Serino qui, à travers un réseau de citernes et de tunnels creusé dans le tuf,  permet de distribuer l'eau à toutes les habitations situées en surface. La Piscina mirabilis constituait le réservoir terminal de l'aqueduc.

Au XVIIe siècle, à la suite de l'expansion urbaine de la ville, en 1629, l'adduction d'eau est complétée par un nouvel aqueduc bâti par un riche aristocrate napolitain du nom de Carmignano.

Utilisées comme citernes et alimentées par des canaux et des galeries jusqu'à la funeste épidémie de choléra de 1884, certaines d'entre elles ont pu être remises en eau afin d'offrir une vision plus suggestive aux visiteurs.

La méthode utilisée pour l'excavation, à base des pieux de bois mouillés pour casser la pierre et de treuils pour l'évacuer, est reconstituée, en préambule.

On peut observer sur le tuf les traces de l'excavation.

Une ligne de pigment rouge délimitait le remplissage maximum de  citernes pour éviter des engorgements. Elles étaient régulièrement visités pour en retirer d'éventuels débris.

Une silhouette montre comment les pozzari ("puiseurs") ramenaient l'eau en surface, parcouraient le dédale souterrain sur les rebords des citernes et des galeries. Ils accédaient à la ville souterraine par des puits, montant et descendant en prenant appui grâce des entailles creusées dans le tuf, encore visibles de nos jours.

Les puits étant pour la plupart dans les cours des palazzi, le personnage du pozzaro est à l'origine de la figure populaire du monaciello, « le petit moine »,  un nain  facétieux du folklore napolitain.  

Après l'abandon de leur fonction d'adduction d'eau, les cavités inutilisées devinrent une déchetterie pour les Napolitains.

Leur évacuation étant quasi impossible, les déchets furent plus tard recouverts et compactés pour composer le sol actuel.

Pendant la seconde guerre mondial, les souterrains ont servi de refuge pendant les bombardements, comme le rappellent certains objets.

Plus surprenant, on découvre un massif de plantes, témoignant d'une recherche sur l'utilisation de la Naples souterraine, comme par exemple une agriculture souterraine : en effet, le taux d'humidité naturelle des cavités suffit aux végétaux, et seul un apport de lumière aurait été nécessaire. Malheureusement, le coûteux système de puits de lumière munis de miroirs n'a jamais été mis en oeuvre et le site a simplement été réaménagé pour la visite touristique.  

Les plantes sont éclairées par une lumière froide avec un cycle jour/nuit, et le résultat fait regretter que le projet agricole n'ait pas abouti.

La suite est assez difficile car il s'agit de marcher longuement dans d'étroits boyaux obscurs munis d'une... fausse bougie dont la seule fonction doit être de nous rendre visibles car elle n'éclaire absolument rien.

Engoncés dans le passage, la plupart des visiteurs ne parvenaient pas à accéder à leur téléphone pour utiliser la fonction de torche.

Bref, ce n'est pas un périple que je referai !

Heureusement, chaque boyau débouche sur une citerne ce qui empêche la claustrophobie de s'installer. 

Dans la première, une amphore suspendue montre comment l'eau était puisée directement.

En fin de parcours, une petite évacuation d'eau glougloute en scintillant : selon la tradition liée à l'eau qu'on retrouve un peu partout, des visiteurs ont fait un voeu en jetant une pièce.

Comme Naples est un haut lieu de superstition, combinant allègrement rites païens et foi chrétienne, je me sens d'humeur à sacrifier au rituel, pour renforcer la chance que m'ont sûrement déja apportée le pigeon et le corno.

A la sortie, la guide nous emmène au fil de quelques ruelles jusqu'à un basso, pour nous montrer combien Naples est une ville bâtie en strates (basso est le terme spécifique utilisé pour désigner les appartements les plus pauvres du vieux Naples, situés en rez-de-chaussée et ouvrant directement sur la rue).

Il faut dire que les alentours verdoyants étaient réservés à l'élite aristocrate et religieuse, aussi la population grandissante devait constamment construire par-dessus l'ancien pour pouvoir se loger, piochant dans le tuf souterrain et recyclant les bâtis existants.

Dans cette maison, la dernière habitante de la maison avait une réserve accessible par une trappe.

Après son décès, lors de fouilles, l'un des murs a été abattu, révélant des coursives d'époque antique.

Ces fondations faisait partie d'un théâtre gréco-romain actif du IVe siècle av. J.-C. au IIe siècle.  C'était un théatre réputé au point que même Néron voulut y jouer. On raconte qu'il soudoya des spectateurs complaisants parmi la population pour se faire applaudir.

La partie montrée ci-dessous correspond l'emplacement des loges d'artistes. On voit les strates construites par-dessus au fil du temps, et en face, la jonction avec le basso.

Il est temps de retrouver Valentina pour la suite de la journée.  Je trotte en prenant des photos au gré des découvertes.

Naples me rappelle La Valette, avec ses  ruelles étroites et ses très nombreuses niches religieuses, mais en plus canaille. 

Pour cette installation, notez le coude de gouttière peint en rouge, façon corno...