Valentina m'emmène aujourd'hui dans les quartiers populaires.
Naples, tout comme le reste de l'Italie, est en plein marasme économique, réduisant tout un petit peuple à vivre d'expédients. Même les personnes ayant accès à l'éducation supérieure sont amenées à émigrer pour trouver un travail rémunéré à la hauteur de leur implicatIon.
Le tourisme n'est pas encore suffisamment déployé pour représenter un revenu notable et pourtant Naples est une ville d'une richesse culturelle inouïe, qui a vu les Anjou, les Bourbon, les Aragon et des bataillons d'Anglais faisant leur Grand Tour.
Néanmois, la ville a une âme grâce à sa mixité sociale qu'un tourisme de masse mal géré pourrait détruire : on se retrouverait dans une de ces villes dont le centre se limite aux musées et cafés, au détriment de la vraie vie.
C'est une problématique douloureuse que je mets de côté pendant la promenade car je dois dire que j'aime cette ville, son kitsch, ses couleurs, ses ruelles...
Je vous emmène avec moi pour flâner, et tant pis si les photos sont un peu mornes : le ciel de novembre n'offre pas la meilleure lumière.
Nous commençons par le quartier de l'Avvocata, une zone habitée depuis l'Antiquité. Divers styles d'urbanisation se sont succédé au cours des siècles, mais le quartier a su garder une certaine homogénéité esthétique surtout du 18e siècle jusqu'à la fin du 19e siècle, dans un style typiquement napolitain.
La colline a été largement creusée pour extraire la pierre de construction. Quand on sait que la région peut être sujette à des tremblements de terre, la perspective du grand vide souterrain n'est pas très rassurante...
Les naissances sont célébrées dignement, avec ce genre de ruban pendu au-dessus du porche de l'immeuble:
Malgré une grande densité de construction, j'ai été très touchée par le nombre de plantes en pot qu'on trouve dans tous les recoins des moindres ruelles.
Je m'étonne de panneaux qui n'ont rien d'italien... Il s'avère qu'une communuauté de plus de 15 000 immigrés du Sri Lanka se développe sur environ 4 km².
Plus de 90 % font fonction de domestiques tandis que le reste s'occupe de commerce de bouche.
Je serais curieuse de savoir comment Naples est devenue leur destination d'émigration.
Le culte des morts tient une grande place : dans les autels, on voit beaucoup de photos des défunts. Ce ne sont pas des décorations du passé mais bien une tradition qui se perpétue.
Il y a néanmoins une quantité particulièrement élevée de ces niches votives. Valentina m'explique qu'à la période des Bourbons, les autorités ont encouragé leur multiplication. Ce n'était néanmoins pas pour de simples raisons religieuses mais pour multiplier les sources de lumière dans des ruelles que l'obscurité rendait dangereuses.
Naples a été fondée par des pêcheurs et des marchands grecs qui n'avaient aucune raison d’aller s’installer sur les collines. Celle du Vomero conservera longtemps sa vocation agricole, alors que celle de Sanita/Materdei deviendra la colline des morts.
A l’époque romaine, les morts ne pouvaient pas être enterrés à l’intérieur de l’enceinte de la ville. Les premieres catacombes seront creusées vers l’an 100. Lorsque le christianisme a été interdit, ses adeptes y ont enterré leur morts et célèbré leurs offices religieux en secret.
Il faudra attendre l’explosion démographique de Naples à partir de 1530 pour que la ville s’étende en tout sens : Chiaia, Quartiers Espagnols et Sanità.
Les affreuses bâches grises ou bleues qui défigurent les façades sont là pour protéger de la pluie le linge étendu.
Au 106 via Fontanelle, nous avisons un lieu ouvert sur la rue dont le propriétaire nous fait signe. Il s'agit d'un basso où vivait son grand'père et dont il a découvert, en déblayant, qu'il était construit sur un réseau de puits.
Il nous laisse explorer gratuitement les galeries et nous offre même deux cartes postales quand nous laissons une petite contribution.
Nous arrivons à la surprise que me réservait Valentina....
Quand en 1656 une épidémie de peste emporta près de 50% des Napolitains (entre 250 et 300 000 personnes), il fut impossible de les enterrer individuellement. Après le bûcher, les os des pestiférés furent rassemblés dans une ancienne carrière de tuf qui servit de sépulture collective, sur la colline de Sanità/Materdei.
L'endroit est stupéfiant !
Une tradition est d'adopter un crâne pour lui donner une famille, en posant une pièce à son sommet. En retour, le crâne est censé donner en rêve des numéros de loterie ou faire se réaliser un voeu.
Si la réussite survient, le crâne bénéficie d'une "maisonnette" en guise de remerciement.
C'est encore une survivance païenne incluse dans le christianisme local et qui provient sans doute du rituel antique qui voulait qu'on posât une pièce sur les yeux du défunt ou dans sa bouche pour qu'il ait de quoi payer son passage dans l'autre monde.
Certains crânes ou dépouilles font l'objet d'un culte particulier pour apporter vigueur et fertilité. D'après le nombre de piécettes et de petits objets déposés en offrande, de nombreux voeux sont formés ici.
C'est fascinant et je n'avais aucune idée du lien puissant des Napolitains avec le monde souterrain et le culte des morts.
Il règne une atmosphère humide et glaciale qui rend l'expérience un peu pénible, donc je suis contente de retourner à la lumière.
Nous prenons le métro pour rallier le quartier du Vomero.
La station est magnifique et Valentina m'explique que c'est le cas pour la plupart car elles ont été confiées à des artistes.
Le quartier du Vomero est un quartier moderne de Naples habité par la bourgeoisie napolitaine.
Il offre l’un des plus beaux panoramas de la Vieille ville, sur fond de Vésuve.
Nous amorçons une très longue descente en direction des Quartieri Spagnoli. Heureusement que la pluie nous épargne car la pente est raide et le pavés sont glissants.
La parfaite trattoria surgit, avec une cuisine maison. Seul regret : pas de mozzarella. La patronne explique qu'avec le climat du jour, elle aurait été trop caoutchouteuse...
C'est un art que je ne maîtrise pas !
Nous quittons les Quartieri Spagnoli pour descendre la grande avenue marchande, Via Toledo.
On n'est pas dans un quartier de type haussmanien : si l'avenue est un grand axe, elle jalonnée sur les côtés par de nombreuses ruelles latérales.
C'est là que se trouve la pâtisserie PINTAURO où fut inventée la fameuse sfogliatella.
La galerie Umberto I, du nom du roi de l'Italie lors de sa construction, marque le début d'une périodes de prospérité qui s'acheva avec la Première Guerre mondiale.
Elle a été dessinée par Emanuele Rocco qui employa des éléments architecturaux modernes rappelant la galleria Vittorio Emanuele II de Milan.
Elle mêle des boutiques, les affaires, les cafés et la vie publique d'une façon générale avec les espaces privés d'habitation à partir du troisième niveau. Le plan de la galerie est cruciforme. L'espace public interne est surmonté de voûtes et d'un dôme en verre à structure métallique.
Des quatre branches de la galerie, l'une donne en face de la via Toledo qui est toujours le principal axe vers le centre-ville, et une autre ouvre sur le Teatro San Carlo.
La galerie est redevenue un centre actif de la vie napolitaine après plusieurs années de relatif déclin.
En sortant, on a une vue superbe sur l'étrange Castel Nuovo, un château gothique qui après avoir subi moultes transformations s'est vu affublé de cet arc de triomphe incongru, conçu par Francesco Laurana pour célébrer l'entrée Alphonse Ier à Naples.
Selon Valentina, l'emplacement aurait été choisi pour protéger ledit arc d'une tentative de renversement.
Sur la piazza Municipio, une installation temporaire jusqu'à février 2020 saisit le regard : cent loups de fer attaquent un guerrier.
L'artiste chinois Lu Ruowang a expliqué "Les loups en Chine sont la métaphore du travail collectif et ce que je voulais dire, c'est que pour améliorer le monde, il est nécessaire de travailler ensemble."
L'oeuvre donne la possibilité d'utiliser les loups comme bancs : "Je veux construire une interaction avec le public, vous pouvez vous reposer sur les loups, je veux donner plus de bonheur aux Napolitains."
La promenade se termine Piazza del Plebiscito car l'orage menace et Valentina, en bonne Gioconda Vagabonda, doit partir pour Rome.