Composé par Rossini en 1814, Il turco in Italia n'avait pas été représenté en Italie entre 1855 et 1950 et fut ressuscité par Maria Callas. C'est une chance de découvrir cet opéra-bouffe à l'Opéra de Lyon.
J'ai été ravie de trouver Laurent Pelly à la mise en scène car j'avais beaucoup apprécié son sens de la comédie pour Barbe-Bleue et Le roi Carotte d'Offenbach ainsi que pour Viva la Mamma, de Donizetti.
Cette fois encore, il offre un spectacle éblouissant, avec l'appui d'une excellente équipe pour la scénographie, les costumes et l'éclairage.
L'argument est simple : Fiorilla, une coquette lassée de son mari Geronio et de son amant Narciso, se pique de séduire Sélim, un homme avide de découvrir en Italie de nouvelles joies charnelles. Mais Zaida, qui fut autrefois la favorite de ce pacha, arrive avec un troupe de bohémiens et espère récupérer Sélim.
En fil rouge, il y a Prosdocimo, un poète en mal d’inspiration, qui observe et commente les situations, voire y ajoute son grain de sel pour faire de toutes ces péripéties le sujet de sa prochaine comédie.
Pour rendre l'atmosphère simpliste, voire caricaturale de l'intrigue, Pelly a choisi un étonnant format de roman-photos alternant avec des décors domestiques.
C'est très réussi, d'autant que les interprètes prennent parfois dans les postures outrées propres aux images de ces magazines de romance à deux sous.
Toutefois, rien n'est figé dans la mise en scène : les éléments du décor bougent à mesure du récit et les accessoires sont habilement utilisés dans le tourbillon des scènes comiques.
On rit beaucoup, et la musique est délicieuse, très enlevée, sous la baguette de Clément Lonca. J'ai même eu la surprise de lui trouver parfois des accents mozartiens, ou d'y entendre du cor.
Pour couronner le tout, si l'histoire est simple, la partition vocale est époustouflante, empreint de bel-canto et avec des passages de bravoure.
Heureusement, elle a été bien servie par des interprètes brillants qui non seulement ont remarquablement chanté mais ont aussi joué avec beaucoup d'humour cette galerie de personnages.
Les Choeurs de l'Opéra de Lyon ont accompagné le tout avec la qualité qu'on leur connaît.
Coquette et piquante, Sara Blanch brille en Fiorilla, un rôle plein de nuances. Sa maîtrise des vocalises complexes est stupéfiante. Même dans les notes les plus hautes de son soprano, elle garde un timbre magnifique, jamais strident. Elle a mérité la salve d'applaudissements qui a jailli à la fin des passages virtuoses.
Dans le rôle-titre, Adrian Sâmpetrean est séduisant en diable. Sélim en rajoute dans les poses lascives très drôles, et sa plastique avantageuse fait merveille en costume blanc échancré. Pour autant, quelles que soient les mimiques voire les acrobaties, sa basse profonde ne perd jamais un timbre envoûtant.
Renato Girolami a endossé avec brio le rôle de Don Geronio, le mari trompé. Sa gestuelle burlesque et ses airs de balourd, n'ont pas masqué ses prouesses vocales.
Interprétant Prosdocimo, le poète en mal d'inspiration, Florian Sempey se promène, avachi, en peignoir vert et pantoufles, mais sa voix est très belle, voire impressionnante dans chaque tenuto.
Pour Don Narciso, l'amant délaissé au profit de Sélim, Alasdair Kent avait un joli ténor, avec des aigus parfois serrés dont je n'ai pas su si c'était dû à une fatigue ou si c'était un effet comique.
Jenny Anne Flory a mis son beau timbre flatteur dans le rôle de Zaida et ce serait un plaisir de l'entendre dans une oeuvre avec plus de temps de scène.
Ce spectacle éblouissant a suscité des rires et des applaudissements pendant toute la représentation, et l'ovation finale a été à la hauteur du plaisir qu'il a apporté.
Cela rend d'autant plus pertinente la déclaration qui nous a été faite avant le lever de rideau par une porte-parole de la direction, sur l'importance de l'art qui rapproche, au-delà des différences.
Les politiques de coupes budgetaires portent préjudice à la culture, au détriment des publics qui bientôt fusionneront avec des écrans sans connaître l'intelligence et l'émotion du spectacle vivant...
Il turco in Italia - Opéra bouffe italien en deux actes - 1814
Musique Gioachino Rossini - Livret Felice Romani
Direction musicale Clément Lonca Chef des Chœurs Benedict Kearns
Mise en scène et costumes Laurent Pelly
Collaboration à la mise en scène Christian Räth
Collaboration aux costumes Jean-Jacques Delmotte
Scénographie Chantal Thomas - Éclairagiste Joël Adam
Avec
Selim, basse Adrian Sâmpetrean - Donna Fiorilla, soprano Sara Blanch
Don Geronio, basse Renato Girolami - Don Narciso, ténor Alasdair Kent
Prosdocimo, basse Florian Sempey - Zaida, mezzo-soprano Jenny Anne Flory
Albazar, ténor Filipp Varik
Orchestre, chœurs et solistes du Studio de l'Opéra de Lyon
Durée 3h15 entracte inclus
Photos (c) Paul Bourdrel - Teatro Real de Madrid
Nouvelle production
Coproduction Opéra de Lyon, Teatro Real de Madrid, Nouveau Théâtre national de Tokyo