Juglair, assise dans le public, raconte l'histoire d'une gamine binoclarde en robe à fleurs et souliers vernis qui courait plus vite que les garçons en chaussures de sport.
Elle nous raconte qu'elle était cette gamine qui s'obligeait à perdre parce que "ça ne se fait pas de vexer les garçons". Quand dans la cour d'école vous êtes la musclée qui défend ses copines, vous êtes soit une folle, soit un garçon manqué.
Mais la gamine sait déjà qu'elle peut faire beaucoup avec ce corps.
Plus tard, issue de la promotion 2008 du Centre national des arts du cirque, elle devient spécialiste de l’acrobatie sur mât chinois puis façonne son langage en y mêlant le théâtre et le cabaret.
Quand Juglair sort du public, c'est pour enfiler une tenue d'acrobate couleur chair. Pieds nus, elle dresse une barre verticale tandis que Lucas Barbier dresse l'autre.
Une simple barre verticale peut projeter des images opposées selon que c’est un homme ou une femme qui évolue dessus. Au mât chinois, c'est le triomphe de la force virile ; à la barre de pole dance, c'est l'hypersexualisation de la femme. Pourtant, il faut autant de puissance musculaire que de souplesse dans les deux disciplines.
A peine Juglair fait quelque pas en s'adressant au public que dans la subtile modification de la posture et le roulement des épaules, quelque chose de masculin transparaît. La voix se fait plus grave et quand la musique commence, c'est un homme qui danse.
On prend conscience de tout ce qui fait qu'on bouge "comme un homme" ou "comme une femme"...
Ainsi, alternant monologue et acrobaties aux barres, Juglair détricote les clichés.
Une ascension manquée de la barre par le personnage masculin devient la métaphore d'un fiasco sexuel, qu'il justifie en alignant des rodomontades guerrières désopilantes sur ce qui l'aurait fatigué.
Lorsque l'artiste s'assied pour chausser des escarpins, serrant les genoux ou écartant les cuisses, elle donne la vision fugace de ce que sont la pudeur et la provocation chez la femme.
Et quand Juglair se lève pour marcher, les pas sont tantôt ceux d'un homme pataud qui s'essaie aux talons, tantôt ceux d'une femme sûre de sa séduction.
Peu à peu, se produit une fusion et après l'ajout à vue d'un maquillage et d'une perruque, apparaît quelque chose de nouveau.
Annoncée par son comparse, à grand renfort de musique de défilé et de bruits de baisers, voici Dicklove ! Battant des cils, tortillant des hanches, Juglair est devenue drag queen, l'étrange accumulation de clichés féminins sur un corps masculin.
Pendant qu'elle aguiche le public, Lucas Barbier scande la liste des noms tellement à la mode pour tenter de cerner les infinies variations de l'être jusqu'à la monstruosité : "Trans, cis, queer, fluid, square... Elephant man !".
Juglair s'interroge : "Suis-je un homme qui se travestit en femme alors qu’elle est une femme ? Ou une femme qui est un homme qui veut devenir une femme ? Ou bien encore, un femme qui décide qu’elle est homme tout en jouant la femme ?… ".
Plus que de répondre à ces questions, Juglair joue avec le genre et ses multiples théories. Son choix est de surprendre, d'oublier la norme et surtout de ne rien définir.
Si l'ensemble manque un peu de cohérence, avec quelques longueurs, le format est bien trouvé pour porter un texte sincère, sans provocation ni moralisation.
Je suis quoi ?
Corps poétique, corps physique corps politique ?
Et puis quoi ?
Je suis moi.
Juglair nous dit simplement qu'être ambigu n'en est pas moins exister.
Dicklove - Création 2021 au Manège, Scène Nationale de Reims - Durée : 1h
Du 20 au 23 septembre 2023 au Théâtre de la Croix-Rousse
Création, interprétation Juglair, Lucas Barbier
Regards extérieurs, dramaturgie Claire Dosso, Aurélie Ruby
Lumière Julie Méreau - Costumes Léa Gadbois-Lamer
Coproductions et résidences Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie, Cirque Théâtre d’Elbeuf et la Brèche à Cherbourg, Le Manège – Scène Nationale Reims, Théâtre de Cornouaille – Scène Nationale Quimper, Le Channel – Scène Nationale Calais, Onyx – St Herblain, L’Espal – Les Quinconces Scène Nationale Le Mans, Furies – Le Palc, PNC – Châlons-en-Champagne, Cirque Jules Verne – PNC Amiens, AY-ROOP – Scène de territoire pour les arts de la piste Rennes, Le Domaine d’O – Montpellier, Théâtre La Vista – La Chapelle Montpellier, La Cascade – PNC Ardèche Auvergne Rhône Alpes, Bourg-St-Andéol, Cirk’éole – Montigny-lès-Metz, La Verrerie – PNC Occitanie Alès, TRIO…S, Inzinzac-Lochrist, Espace Périphérique, Parc de la Villette – Mairie de Paris, La Martofacture – Sixt-sur-Aff.
Soutiens Ministère de la Culture – DRAC Bretagne, SACD, Processus Cirque, Ville de St Herblain.
Remerciements à Marlène Rostaing, Jean-Michel Guy et Johan Piémont alias Luna Ninja