Le Bel Indifférent - Cocteau/Perton

Ecrite par Jean Cocteau pour Edith Piaf et Paul Meurisse qui la joueront en 1940, c'est une oeuvre terrible sur la solitude d'une femme qui n'est pas aimée en retour.

Elle est chanteuse populaire, sur le déclin. Ce soir-là, après un concert, elle rentre dans sa chambre d’hôtel pour attendre cet homme si beau dont elle espère tout. Mais quand il arrive, ce n'est que pour se changer et se reposer avant de repartir, sans un mot. 

J'avais déjà vu la pièce à la télévision, avec le monologue porté par Annie Cordy. Sa plainte déchirante sur la cruauté de l'attente se heurtait à la belle indifférence d'Alain Delon. Le contraste était bouleversant. 

Christophe Perton (Compagnie Scènes et Cités) a transposé la pièce à l'époque actuelle. Ainsi, la chanteuse devient une pop star, incarnée par Romane Bohringer, en tournée internationale avec son jeune amant, interprété par le danseur Tristan Sagon, issu du hip-hop. La pièce a été enrichie d'une demi-heure de chansons en direct, pour prolonger le récit.

Le dispositif scénique en demi-cercle est très réussi : en bas, la chambre d'hôtel, avec un lit dont la forme reflète la façon dont la femme tourne en rond.

Dans la partie supérieure, une fenêtre voilée qui est tantôt une scène musicale qu'on voit des coulisses, tantôt une vue sur la ville. L'ensemble de la construction devient parfois un écran sur lequel sont projetées des images de transition ou des gros plans.

Cette version est plus foisonnante que la pièce d'origine : outre l'ajout de chansons interprétées par Romane Bohringer, il y a du récit hors champ, semblant être Piaf parlant de sa vie de femme.

En outre, le texte original a été légèrement modifié, soit par raccourci, soit par changement de quelques expressions. Ce qui m'a surtout gêné, c'est la suggestion de violences physiques : ce n'est pas dans pièce initiale et rompt cette notion de profonde indifférence qui fait la force du propos.

Romane Bohringer, voix cassée, est bien cette femme en détresse qui voit s'enfuir la promesse d'un bonheur tranquille, dévorée de jalousie mais incapable de quitter son bourreau. 

La relation ambiguë est bien rendue dans un duo, où assis sur le lit, le couple s'enroule et se sépare. Elle tente d'envelopper son amant, et Tristan Sagon lui échappe avec la lascivité nonchalante d'un chat, fuyant avec une grâce qui donne envie de le rattraper. En solo, il parade, dans une gestuelle aussi fluide que tonique.

Ces moments brillants diluent néanmoins le sentiment de suffocation  que donne la pièce initiale, dont le désespoir pathétique est entier dans la confrontation à l'indifférence de l'homme.

A mon sens, cette nouvelle pièce devrait être annoncée comme une création "d'après Le Bel indifférent", ce qui n'enlèverait rien à son intérêt, comme en a témoigné l'ovation faite par le public.

Le Bel Indifférent,  5-7 octobre 2023 au Théâtre de la Renaissance d’Oullins - Durée 1 h 10
Texte Jean Cocteau
Adaptation, mise en scène, scénographie, costumes Christophe Perton
Collaboration artistique, assistanat Maurice Marius
Chorégraphe Glyslein Lefever
Musique Maurice Marius, Emmanuel Jessua
Vidéo Baptiste Klein - Lumières Jean-Pierre Michel
Régie générale Pablo Simonet - Direction vocale Mark Marian
Régie son Geoffrey Bonnifet - Construction des décors ARTOM – Atelier

Avec Romane Bohringer, Tristan Sagon jeu, Emmanuel Jessua guitare, claviers, Maurice Marius chant, claviers, Jonathan Maurois guitare, Pierre Rettien batterie, Charles Villanueva basse

Production Scènes&Cités. Soutien  Centre national de la musique.

Remerciements à Comité Cocteau.

La Compagnie Scènes&Cités est conventionnée par le ministère de la Culture – DRAC Auvergne-Rhône-Alpes et la Région Auvergne-Rhône-Alpes.