Quel régal que cette mise en scène !
Benoît Lambert, nouveau directeur de La Comédie de Saint-Étienne, sert l'auteur avec allant, dans une tradition théâtrale qui fait du bien.
Pas de vidéo ni de musique tonitruante, mais des costumes suggérant l'époque et des répliques bien dites, au rythme endiablé des déplacements dans un décor simple mais efficace dont les caisses de trésor empilées permettent aux personnages de surgir, se pavaner ou se cacher...
L'Avare largement inspiré de La Petite Marmite (Aulularia) de Plaute nous démontre que 1500 ans plus tard, les travers humains n'ont pas changé et qu'il vaut mieux en rire pour ne pas en pleurer.
Voici un affreux avare, Harpagon, qui aime son or plus que ses enfants, au point de vouloir sacrifier leurs amours sur l'autel de la richesse et jusqu'à convoiter la femme qu'aime son propre fils.
Bien sûr, Molière nous donne son lot de quiproquos et de coups de théâtre, et surtout des dialogues ciselés qui sont joués ici avec tant de naturel et de clarté qu'on n'en perd pas une miette, si l'on parvient à réprimer ses éclats de rire.
Parmi les quatre jeunes amoureux, trois sont issus de l'Ecole de la Comédie de Saint-Etienne. Estelle Brémont, en ravissante Elise, cherche encore un peu sa voix naturelle au-delà de sa bonne diction. Son prétendant Valère est Théophile Gasselin qui excelle non en amoureux transi mais en domestique impertinent, avec des mimiques hilarantes qui donnent envie de lui voir jouer Feydeau. Maud Munissier incarne bien cette pauvre Marianne déchirée entre son devoir filial et l'horreur d'être convoitée par le vieil Harpagon, quand elle amoureuse de son fils.
Le quatrième, Baptiste Febvre, nous vient de l'Ecole supérieure d'art dramatique de Paris. Avec sa fougue et sa longueur de souffle, c'est un Cléante solide et séduisant qui ne dénote pas avec le talent des vieux briscards.
Il faut dire que la malicieuse Frosine éclate dans la truculence d'Anne Cuisenier qui intrigue et minaude avec bonheur, face à un Harpagon qu'Emmanuel Vérité parvient à rendre parfois pathétique malgré son ignominie.
Le protéiforme Etienne Grebot donne tout autant malice à Laflèche, tourments à Maître Jacques que dignité au vieil Anselme.
Il y a des comédies que l'on croit connaître à cause des célèbre répliques dont on se souvient, comme "Il faut manger pour vivre et non vivre pour manger" ou "...Je suis perdu, je suis assassiné ; on m’a coupé la gorge : on m’a dérobé mon argent !"
Mais il y a tant à voir dans L'Avare ! De coups de théâtre en dialogues piquants, de défis en machinations... Et il y a tant de résonance contemporaine dans cette façon dont Frosine considère que la frugalité de Marianne aurait valeur de rente pour Harpagon...
Malgré la férocité du propos, on rit de bon coeur en espérant une fin heureuse.
L'Avare (1668) de Molière, du 25 au 27 janvier 2023 - Théâtre de la Renaissance d'Oullins - Durée : 2 h
Mise en scène Benoît Lambert, assisté de Colin Rey
Scénographie, lumières Antoine Franchet - Environnement sonore Jean-Marc Bezou
Costumes Violaine L. Chartier - Maquillage Marion Bidaud
Avec Estelle Brémont* (Elise), Anne Cuisenier (Frosine), Baptiste Febvre (Cléante), Théophile Gasselin* (Valère), Étienne Grebot (Laflèche, Maître Jacques, Anselme), Maud Meunissier* (Mariane), Colin Rey (Maître Simon), Emmanuel Vérité (Harpagon) (*) de L’École de la Comédie de Saint-Etienne
Production La Comédie de Saint- Étienne – CDN, Théâtre Dijon Bourgogne, CDN. Soutien Fonds d’Insertion pour Jeunes Comédiens de l’ESAD – PSPBB