«Candide ou l’optimisme», de Voltaire, couvre les sujets philosophiques du siècle des Lumières : la religion et le fanatisme, la liberté politique et la tyrannie, la connaissance et l’obscurantisme, le bonheur et la fatalité, la liberté et l’esclavage.
Le concept des Lumières du droit au bonheur immédiat venait bousculer la position des philosophes de la Renaissance qui promettaient le bonheur après la mort, dans une tradition classique chrétienne. L’optimisme exagéré de cette promesse devenait un outil de propagande ôtant aux citoyens leur esprit critique pour leur faire accepter l’autorité sans rechigner.
Leonard Bernstein trouve dans cette réflexion une analogie avec les tourments des Etats-Unis en proie à la Guerre froide et au maccarthysme. Dans la société américaine rongée par l’angoisse, le bonheur immédiat devient une injonction, poussant à la consommation de biens matériels pour relancer la croissance.
Pour la scène, Candide fut d’abord conçu par Lillian Hellman comme une pièce de théâtre avec des passages musicaux mais Bernstein fut si enthousiasmé par le projet qu’il la convainquit d’en faire une «opérette comique». Elle rédigea ainsi, en 1956, le livret original qui fut critiqué pour son sérieux, alors que la musique remporta un vif succès. En 1974, Harold Prince, célèbre pour son adaptation de Un violon sur le toit, demanda un nouveau livret à Hugh Wheeler. Par la suite, l’œuvre subit de multiples modifications et c’est sur la version révisée de l'édition du Scottish Opera (1989) que se fonde cette nouvelle production.
Compositeur et chef d’orchestre américain, pionnier de la conciliation du classique et du jazz, Bernstein a composé Candide en même temps que son oeuvre la plus célèbre, West Side Story. Chaque œuvre reflète en quelque sorte l’image que le compositeur se fait des deux continents : jazz et mambo pour affirmer que l’Amérique moderne, urbaine et rythmique donne désormais le ton, tandis que fanfares, gavottes et valses ponctuent les déboires de Candide sillonnant le vieux continent...
La partition est brillante, relevant autant de l’opéra avec l’aria « Glitter and be gay », de l’opérette avec l’hispanisant « What’s The Use ? », que de la comédie musicale, sans oblitérer l’orchestre philharmonique. Bernstein y glisse des mesures asymétriques ou quelques dissonnances qui donnent un relief particulier à sa musique, tout comme l’omniprésence du triangle.
Sous la baguette de Wayne Marshall, l’Orchestre et les Chœurs de l’Opéra de Lyon embrassent tous les genres avec bonheur.
Un narrateur est censé introduire chaque étape de l’histoire mais Daniel Fish a pris le parti de ne garder que quelques aphorismes sibyllins qui n’aident en rien à la compréhension du récit.
Il a d’ailleurs fait de même avec le décor et les costumes car, même si Candide va de pays en pays, pris dans une escalade de rebondissments, le metteur en scène explique son choix de mise en scène : « Ce sont les événements décrits dans les différentes versions du livret de Candide. Dans ce spectacle, vous ne verrez de représentation littérale d'aucun d'entre eux. Nous cherchons plutôt à orienter l'histoire dans une voie plus ouverte, plus essentielle. Que se passe-t-il lorsque le personnage et le récit disparaissent et que les interprètes, leurs corps, leurs voix et leur présence interagissent avec la glorieuse musique de Léonard Bernstein ? »
De fait, il n’y a sur scène que des gens en vêtements ordinaires, des chaises, une grande bulle de plastique mobile et des jets de mousse.
Il en résulte que se perd l'humour morbide que suscite l'enchaînement frénétique d'étapes exotiques, de catastrophes, de coups de théâtre, de meurtres et de résurrections improbables.
Ce pourrait être une forme de récital acceptable, grâce à l’expressivité des solistes, s’il n’y avait ces quelques personnages arpentant constamment la scène, parfois à reculons, s’arrêtant pour se trémousser ou répéter des gestes de bras sans lien avec le contexte.
Ces mouvements sans intérêt parasitent la vision, d'autant plus gênants quand on doit lire les sur-titres.
Fort heureusement, la musique est splendide et les solistes tout autant, avec le sens du rythme et un débit très enlevé.
Bonne comédienne, Sharleen Joynt brille dans le rôle de Cunégonde, en particulier dans le morceau « Glitter and be gay » dont la difficulté n'a rien à envier au grand air de la Reine de la Nuit. Son phrasé fluide plein de finesse, ses vocalises bien piquées et ses aigus impressionnants lui ont valu un tonnerre d'applaudissements.
Candide est porté par un Paul Appleby inspiré. Ténor léger, plein de poésie, il a un souffle remarquable dont il use avec humour pour donner à un tenuto un longueur telle qu'il semble ne jamais s'arrêter.
Tichina Vaughn est truculente à souhait dans le rôle de la Vieille dame ; le joli timbre de Thandiswa Mpongwana donne du caractère à sa Paquette, Sean Michael Plumb a beaucoup d'allant pour interpréter Maximilien et Peter Hoare est très amusant dans sa malice de Vanderdendur...
Encore une fois, on peut se réjouir que l'Opéra de Lyon soit sorti des sentiers battus pour faire connaître cette oeuvre de Bernstein.
Du 16 décembre 2022 au 1er janvier 2023 à l'Opéra de Lyon
Candide, opérette comique en deux actes d’après Candide ou l’Optimisme de Voltaire – En anglais, sur-titré en français - Durée : 2 h 20, entracte inclus
Musique Leonard Bernstein
Livret Hugh Wheeler - Version révisée de l’édition du Scottish Opera (1989)
Paroles Stephen Sondheim, John Latouche, Dorothy Parker, Lillian Hellman et Leonard Bernstein.
Direction musicale Wayne Marshall Mise en scène Daniel Fish
Chorégraphie Annie B. Parson avec la collaboration de Catherine Galasso
Décors Andrew Lieberman et Perrine Villemur Costumes Terese Wadden Lumières Éric Wurtz
Avec
Paul Appleby Candide (ténor)
Sharleen Joynt Cunégonde (soprano)
Derek Walton Pangloss (baryton)
Tichina Vaughn La Vieille Dame
Peter Hoare Le Gouverneur/Vanderdendur/ Ragotski (ténor)
Sean Michael Plumb Maximilien (baryton)
Thandiswa Mpongwana Paquette (soprano)
Orchestre, Chœurs et Studio de l'Opéra de Lyon
Nouvelle production, en première à Lyon.