Le 17 novembre 2010, l'UNESCO a inscrit « l’art des croix de pierre arméniennes ; symbolisme et savoir-faire des khachkars » sur sa liste du patrimoine culturel immatériel de l'humanité. Lors de la discussion de l'inscription par le Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, l'Azerbaïdjan a tenté de faire modifier l'intitulé en « symbolisme et savoir-faire des khachkars arméniens », en contestation du caractère spécifiquement arménien de ces stèles, mais sa demande n'a pas été acceptée ; cette inscription a été perçue par l'Arménie comme une reconnaissance du caractère exclusivement arménien des khatchkars.
Un khatchkar (en arménien խաչքար) est une stèle sculptée d'une ou plusieurs croix, avec des motifs ornementaux, et parfois des inscriptions, des figures humaines ou animales. Spécificique à l'art arménien, il était autrefois présent sur tout le territoire de l'Arménie historique et est aujourd'hui particulièrement préservé en Arménie et au Haut-Karabagh.
Ces œuvres, mesurent généralement d'1,5 à 2 m de hauteur, de 0,5 à 1,5 m de largeur et de 10 à 30 cm d'épaisseur. En arménien, le mot se décompose en « croix » (խաչ) et « pierre » (քար). Le nom signifie donc littéralement « croix-pierre » et se traduit « croix sur pierre ou « pierre à croix ». La fréquente traduction « croix de pierre » est en réalité fautive, un khatchkar n'ayant généralement pas la forme d'une croix.
Les katchkars ont une fonction votive, commémorative ou apotropaïque, c’est-à-dire pour combattre le mauvais sort. Ils incarnent la christologie de l'Église apostolique arménienne, en ce qu'elles ne représentent pas la mort du Christ mais sa nature divine, en un arbre de vie.
Composante typique de l'art arménien, le khatchkar présente naturellement différents liens avec les composantes de l'art et de la culture arméniens. Ainsi, les motifs présents sur les khatchkars (géométriques, végétaux, animaux, etc.) rejoignent ceux utilisés dans la miniature arménienne.
Les khatchkars sont soit dressés sur un piédestal, en pleine nature ou à proximité d'un lieu de culte ; soit encastrés à même les murs d'un tel lieu ; soit directement sculptés à même la roche. La pierre utilisée est en principe une pierre locale et relativement tendre : tuf, basalte, andésite, felsite, grès...
Les ornements de la stèle, orientée vers l'est, sont situés sur la face ouest et sculptés en bas-relief, de manière continue.
La hauteur d'un khatchkar varie entre 1,5 et 2 mètres mais on relève des exemplaires pouvant s'élever à 6 mètres comme celles datant de 1194, à Aprank dans la région d'Erzinca. La largeur équivaut quant à elle dans la plupart des cas à environ la moitié de la hauteur du khatchkar.
Deux types particuliers de khatchkars se distinguent de la norme : la forme en croix aux bras libres ou celle où les khatchkars sont encastrés dans une sorte de petite chapelle.
La symbolique du khatchkar est issue de l'époque à laquelle il apparaît en Arménie : le khatchkar est « la quintessence de sa christologie », dont la définition se stabilise au VIIIe siècle sous le Catholicos Hovhannès III d'Odzoun.
La nature divine du Christ est alors mise en avant, d’où la non-représentation de sa mort ; la croix, dont le culte est un trait dominant de la dévotion populaire des Arméniens n'est alors pas l'instrument du supplice du Christ mais un arbre de vie, le symbole de la victoire sur la mort.
Selon les mots de l'historien Jean-Pierre Mahé : « La croix figure les arbres fabuleux du paradis, l'arbre de vie et l'arbre de science .... Les racines de cet arbre ne sont pas figées dans la terre, elles remontent au contraire vers le ciel, elles se chargent de grappes de raisin et de grenades, fruit eucharistique et gage d'immortalité.»
Les khatchkars se voient parfois inscrits, principalement par les auteurs formés à l'époque soviétique, dans une tradition remontant à la préhistoire : ils seraient ainsi les descendants d'une lignée remontant aux pierres dressées, comme celles du site de Zorats Karer.
Les khatchkars pourraient avoir été inspirées des vichap (pierres « dragon » des pentes de l'Aragats ou du Gegham); des stèles ourartéennes, sur lesquelles des croix ont parfois été ajoutées, des stèles chrétiennes de l'époque pré-arabe et des colonnes, comme celles du site d'Odzoun, de la même période.
Les premiers khatchkars sont apparus au IXe siècle, pendant la renaissance arménienne suivant la libération du joug arabe sous les Bagratides. Leur origine est située dans la province actuelle du Gegharkunik, mais ils se répandent très vite dans tout le pays,
Au début, les stèles sont massives et dotées d'une ornementation simple. La partie supérieure est généralement ovale ou arrondie, mais des khatchkars à la partie inférieure ovale sont connus, tout comme un unique khatchkar circulaire à Talin.
Ce n'est qu'au Xe siècle que la forme entièrement rectangulaire s'impose, et que dans la seconde moitié du XIIe siècle que la partie supérieure s'incurve en une corniche, peut-être à des fins de protection des ornements. Le décor se résume à l'origine à une croix centrale à partir du pied de laquelle se développent, de chaque côté, deux feuilles, « génération végétale » de la croix. Celle-ci a des bras évasés aux extrémités munies de boules, qui se transforment en trèfles du Xe au XIIe siècle, accentuant ainsi l'allusion à la nature végétale du bois ». Au XIIe siècle, cette croix est entourée de deux croix de taille inférieure (un symbole vraisemblable du Golgotha), parfois même de deux de plus, dans les quadrants inférieurs.
Les deux feuilles ou branches de feuillage sont quant à elles le plus souvent unies par un lien au pied de la croix et se développent de manière symétrique en courbe ou volute, à l'extrémité orientée vers le centre de la croix ; une seconde paire est parfois développée vers le bas. Cette paire peut dès le XIe siècle revêtir la forme dite « à bouquet ». Sous le pied de la croix, on retrouve une hampe florale, un médaillon, voire un carré.
L'ensemble se voit enfermé dans un arc dès la fin du Xe siècle, le plus souvent en plein cintre mouluré reposant sur des colonnettes.
Petit-à-petit, des motifs ornementaux (grenade, raisin) puis géométriques font leur apparition. Dès dès le Xe siècle dans les écoinçons et l'encadrement, puis, et de manière progressive à partir du XIe siècle, sur le fond de la stèle. Les figures humaines sont quant à elles n’apparaissent qu’au XIIe siècle.
C'est au XIIIe siècle que l'art des khatchkars atteint son apogée, de par leur nombre et de par la richesse de leur ornementation parfois excessive, soulignant l'habileté extraordinaire de certains sculpteurs.
Toujours au XIIIe siècle, le bas du pied de la croix se développe encore : son relief devient bombé, en une sorte de globe crucifère ; il peut également reprendre une représentation du défunt ou du donateur en cavalier chassant. L'arc entourant la composition devient à la même période un arc brisé, avec parfois une disparition des colonnettes le soutenant.
Le pied de la croix, avec la paire de feuilles, est désormais régulièrement lié par un anneau, voire une boucle ou, de manière moins fréquente, par rien du tout; il peut rarement disparaître pour être remplacé par un champ fleuri.
De nombreux khatchkars portent des inscriptions reflétant leur fonction, le plus souvent de type votif : le type de pierre utilisé tout comme l'exposition de la stèle, visible par un grand nombre, s'y prêtent. De la moitié du XIIIe au début du XIVe siècle, elles s'ornent d'entrelacs et de motifs floraux. Enfin, quand apparaissent les figures humaines, elles leur attribuent leur identité.
Ces inscriptions sont précieuses sur les plans historique, linguistique, socio-économique, etc. ; elles donnent en outre souvent la date du khatchkar, voire du monument dont il commémore la construction. Il arrive qu'elles mentionnent le nom du sculpteur.
Jusqu'au XVe siècle, les représentations figuratives se développent sur l'entablement : Christ en gloire entouré d'anges ou scènes des Évangiles, donateurs, etc.. Le motif même de la crucifixion, sur la croix centrale, voit le jour mais reste cependant limité à quelques stèles à la fin du XIIIe siècle ; une variante, dite « Sauveur de tous » (Ամէնափրկիչ), n'est connue que sur quatre kahtchkar des années 1270-1280, du nord du pays, et consiste en une représentation de la décrucifixion, avec Nicodème arrachant un clou, la Vierge, saint Jean et Joseph d'Arimathie. La croyance populaire prête des vertus curatives à ce type de khatchkars et en a fait des espèces de sanctuaires.
L'art des khatchkars connaît une interruption à la suite des invasions seldjoukides puis mongoles, mais elle n'est pas complète ; ce n'est cependant qu'aux XVIe – XVIIe siècles que la tradition est ravivée, alors que le pays est divisé en Arménie perse et Arménie ottomane. Servant principalement de stèles funéraires, les khatchkars n'atteignent plus les niveaux du Moyen Âge et voient leur ornementation devenir relativement simple et claire, au point d'en devenir monotone et schématique.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, ils brillent toutefois de leurs derniers feux, manifestant une tendance à la surcharge, à la virtuosité technique qui parfois touche au baroque.
Les pierres sont travaillées au burin, avec une pointe fine ou un marteau, voire des aiguilles injectant de l'eau dans la pierre, puis polies au sable et affinées au plâtre d'argile ou à la chaux.
La création de khatchkars, essentiellement funéraires, a repris en République d'Arménie depuis les années 1960, mais les nouvelles œuvres ne peuvent encore rivaliser avec les khatchkars médiévaux. La technique se transmet de maître en apprenti.
De bons exemples ont été transférés au Musée d'histoire de l'Arménie (par exemple khatchkars de 991 de Noradouz et de 1291 de Gochavank) à Erevan et autour de la cathédrale d'Etchmiadzin. L'emplacement qui compte le plus de khatchkars en Arménie actuellement est le cimetière de Noradouz.
Le nombre de khatchkars ne peut être estimé, mais on considère à titre d'exemple qu'il en subsiste environ 40 000 en République d'Arménie. La loi du 11 avril 2003 classe les khatchkars dans la catégorie des biens historiques et culturels immobiliers considérés comme propriété de la République d'Arménie, et en tant que tels non susceptibles d'aliénation.
Les Arméniens ont dressé des khatchkars dans tous les centres diasporiques : Caucase du nord, vallée de la Volga, Crimée, Moldavie, Carpates, Perse, Jérusalem, etc. Des khachkars sont parfois offerts à des pays à titre diplomatique ou fraternelle.
L'UNESCO annonce un total de 50 000 khachkars dans sa description.
En Azerbaïdjan, république voisine de l'Arménie, quand les khatchkars ne sont pas simplement détruits, comme le montre le cas du célèbre cimetière de khatchkars de Djoulfa au Nakhitchevan, qui fut purement rasé, les khatchkars présents sur le territoire de l'actuel Azerbaïdjan sont qualifiés d'«albaniens » dans un but de manipulation de la population et donc, selon l'Académie des sciences de ce pays, d'origine turco-azerbaïdjanaise, par un processus de révisionnisme actif mêlant intention politique et interprétations tendancieuses.
En Géorgie où sont présents depuis longtemps et de manière continue des Arméniens, on compte également des khatchkars. Ils y sont néanmoins aujourd'hui profanés, dans le cadre d'un mouvement de destruction et de «géorgianisation» visant à minimiser cette présence arménienne.
Pour finir sur un jeu de mots très facile : l'enjeu politique des khatchkars est de taille....