« Vanité des vanités, tout est vanité »... En écho à cette citation tirée de "L'Ecclesiaste", nombreuses sont les formes par lesquelles les artistes expriment la fragilité et le prix de la vie : danses macabres, triomphes de la Mort, scènes de genre, natures mortes etc.
L'expo présente des oeuvres appartenant au Musée des Beaux-Arts et au Musée d’art contemporain de Lyon, ainsi qu'à un couple de collectionneurs lyonnais.
Comme toujours, je ne vous montre qu'une sélection fondée d'une part sur mes goûts et d'autre part sur les limites imposées à la prise de vue (hauteur d'accrochage, reflets dans les vitres de protection, lumière insuffisante...)
Dans l’art européen, la notion de vanité commence par se manifester, au Moyen Âge, à travers les danses macabres dans lesquelles des squelettes incarnent des morts sortis de leur tombe pour entraîner les vivants dans leur danse. Elles apparaissent d’abord sous forme de fresques sur les murs des monastères et des cimetières, à une époque où épidémies, guerres et famines rendent la mort omniprésente.
Au 16e siècle, des gravures d’emblèmes pourvues de sentences morales issues de la littérature latine ou de la Bible prennent pour sujet des squelettes personnifiant la Mort qui s’adonnent à des activités humaines. Le développement du savoir anatomique participe à l’essor de ces images en fournissant des modèles pour ces squelettes.
Dès la naissance, tout être est mené fatalement au terme de sa vie. A mesure de ce cheminement, la conscience de la vanité des prétentions humaines va croissant.
Aussi certaines œuvres proposent-elles de s’interroger sur l’emploi que l’on peut faire de son existence. Elles sont jalonnées de symboles illustrant le thème du temps qui passe et la fragilité de la vie : sablier, montre, crâne, chandelle, fleurs fanées
Pour dénoncer la vanité et la fugacité de la jeunesse, de la beauté et de l’amour, des artistes associent la mort aussi bien à une coquette, de jeunes couple voire des enfants.
Au 16e siècle, dans le Nord de l’Europe, on retrouve la figure de l’enfant faisant des bulles de savon, en écho à la devise « Est Homo Bulla » (« L’homme est une bulle ») formulée par les auteurs latins Varron et Lucain, puis reprise à la Renaissance par Érasme dans ses Adages.
Erik Dietman - L’art mol et raide ou l’épilepsisme-sismographe pour têtes épilées : mini male head coiffée du grand mal laid comme une aide minimale… 1985-1986
Au 17e siècle, les squelettes des danses macabres cèdent la place à des crânes, dans des compositions appartenant au nouveau genre pictural des vanités.
La représentation isolée du crâne humain apparait dès le 15e siècle, au revers de portraits de donateurs peints sur des volets de polyptyques flamands. Il s’agit de memento mori (« souviens-toi que tu es mortel») rappelant aux commanditaires la vanité des prétentions humaines.
Les développements scientifiques, illustrés dans l’exposition par trois têtes anatomiques en ivoire, ont permis de peindre et de dessiner ces crânes avec la plus grande exactitude.
Au 17e siècle, dans les pays du Nord de l’Europe ayant adopté la réforme protestante, les vanités prennent la forme de natures mortes organisées autour de crânes. Elles mettent en scène des éléments qui symbolisent le caractère éphémère de l’existence, tels que la montre, le sablier, le papillon ou les bulles de savon.
Dans les pays catholiques du Sud de l’Europe, les crânes et leurs représentations sont alors considérés comme des accessoires indispensables à la prière, rappelant à quelle fin le fidèle est voué.
Des artistes des 20e et 21e siècles ont perpétué la tradition des vanités dans des œuvres empruntant, pour certaines, à des modèles issus des cultures africaine, océanienne et américaine.
Dans une perspective chrétienne, de nombreuses œuvres ont été créées pour souligner le caractère vain de la quête de connaissances et de gloire car il n’y a d’autre gloire que celle de Dieu. La brièveté même de l’existence humaine rend ces prétentions dérisoires.
Dans des natures mortes peintes pour la plupart au 17e siècle, la profusion d’attributs emblématiques des arts (instruments de musique, partitions) et des savoirs (livres, encriers, plumes, chandelles, lampes) vise à dénoncer l’orgueil que l’on pourrait être tenté de tirer de titres de gloire ou de connaissances accumulés au cours de sa vie. Aux siècles suivants, ce type de compositions a eu tendance à être vidé de son sens et à revêtir une fonction décorative.
La quête de connaissance vouée à l’échec est également incarnée par des figures de philosophes dans certaines compositions s’apparentant à des vanités.
C’est le cas, par exemple, des Mangeurs de ricotta, tableau dans lequel le peintre se serait représenté en Démocrite, le philosophe antique qui préférait rire de la vanité des hommes plutôt que d’en pleurer. Les trous dans la ricotta lui donnerait l'allure générale d'un crâne.
La figure de l’alchimiste, à la recherche de la formule de l’élixir permettant de prolonger indéfiniment l’existence, incarne cette quête insensée et considérée comme impie.
Le peintre comme le spectateur prennent plaisir à passer en revue les différents éléments qui composent le bric-à-brac des ateliers de ces alchimistes : crânes, globes terrestres, fioles, creusets, foyers, grimoires, salamandres, écorchés, boules de cristal, etc.
École de David Teniers II, dit le Jeune - Un alchimiste dans son atelier, dit aussi La consultation médicale, 17e siècle
Aux 16e et 17e siècles, en réponse aux protestants qui rejettent le sacrement de pénitence, l’église catholique promeut le modèle du saint pénitent retiré dans le désert, afin d’échapper aux tentations.
La représentation de saint Jérôme vivant en ermite dans le désert de Chalcis se met à l'emporter sur celle du savant se livrant à ses recherches dans son cabinet d’étude. Instruments de sa méditation et de sa repentance, un crâne, des livres et un crucifix figurent invariablement dans les gravures et tableaux le représentant.
Marie-Madeleine constitue l’autre figure emblématique du renoncement aux vanités du monde. Une fois convertie au christianisme, elle choisit, en effet, d’abandonner les plaisirs de la vie de courtisane pour vivre dans le dénuement et la solitude durant trente années.
Au 17e siècle, les Pays-Bas sont le premier importateur de tabac en Europe, très consommé dans les cabarets, aussi retrouve-t-on nombre de fumeurs, buveurs et joueurs sous le pinceau des peintres de l’époque.
Les scènes pittoresques contiendraient une discrète dénonciation de la futilité des richesses et plaisirs terrestres, sans plus de substance que la fumée.
D’autres scènes de genre montrent des singes avec des vêtements, leur animalité soulignant la futilité des apparences.
Les bouquets, peints pour la plupart au 17e siècle, suffisent à rappeler la fugacité de la vie. Des fleurs flétries, des pétales tombés, une tige cassée, la menace de rongeurs, d’insectes ou de reptiles, permettent d’évoquer la fragilité du vivant, dans des compositions qui n’en exaltent pas moins sa splendeur.
La précision descriptive et la flamboyance des couleurs rendent compte de la beauté des fleurs réunies de manière arbitraire puisqu’en réalité leurs périodes de floraison ne coïncident que rarement.
La fleur comme symbole de fugacité de la vie est présente dès l’Antiquité, dans des textes profanes comme sacrés. Ainsi, dans le Livre de Job, on peut lire : « L’Homme, né de la femme, a la vie brève et des tourments à satiété ; pareil à la fleur, il éclot puis se fane et fuit comme l’ombre sans arrêt. ».
Au 16e siècle, le poète Pierre de Ronsard, conseille à son tour : « Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain : Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie. »
Les épis de blé, les papillons, les cerises et les grappes de raisin émaillant les bouquets renvoient à la résurrection et à la vie éternelle promise dans l’au-delà.
Charles William de Hamilton - Plantes, insectes et reptiles dans un sous-bois, 1e moitié du 18e siècle
Le tableau suivant m'a causé un bon fou-rire car j'y ai vu le chat le plus laid du monde, avec un nez humain. Je me demande si c'est par volonté de satire ou si le peintre n'a tout simplement jamais vu un chat en vrai.
J'ajoute, sous le tableau, un gros plan sur la tête du chat, histoire que vous puissiez rire aussi...
Au 17e siècle, dans les pays nordiques qui ont adopté la réforme protestante, des peintres mettent en scène des éléments de vaisselle et des aliments dans des natures mortes illustrant la vanité des biens et des plaisirs terrestres. Il est parfois difficile de percevoir la portée moralisatrice de telles œuvres, tant certains peintre ont pris soin de peindre la somptuosité des éléments composant ces œuvres.
Le caractère transitoire de l’existence y est signifié par l’instabilité de la composition, nappes, assiettes et couteaux semblant prêts à glisser à terre. Les montres, les mets et verres de vin entamés, les pipes dont la fumée s’est dissipée, les chandelles à moitié consumées rappellent également le temps qui passe et la fragilité de la vie humaine.
Commissariat Ludmila Virassamynaïken, conservatrice en chef du Patrimoine, en charge des peintures et sculptures anciennes
Comité scientifique
Céline Le Bacon, chargée du cabinet des arts graphiques et des acquisitions XXe/XXIe siècle, Musée des Beaux-Arts de Lyon
Salima Hellal, conservatrice en chef, chargée des objets d’art, Musée des Beaux-Arts de Lyon
Stéphane Paccoud, conservateur en chef, chargé des peintures et des sculptures du XIXe siècle, Musée des Beaux-Arts de Lyon
Hervé Percebois, responsable du service collection, Musée d’Art Contemporain de Lyon
Cette exposition est présentée dans le cadre du Pôle des musées d’art de Lyon MBA / MAC.
Affiche : Anonyme d’après André Vésale La Mort appuyée sur une bêche, après 1543,
Burin - Lyon, Musée des Beaux-Arts - Image © Lyon MBA - Photo Martial Couderette