Eschyle, Euripide, Sophocle, Yourcenar, Sartre, Giraudoux… le moins qu’on puisse dire c’est que le personnage mythique d’Electre a inspiré beaucoup d’interprétations.
Schématiquement, Agamemnon roi de Mycènes, a sacrifié sa fille Iphigénie à la déesse Artémis pour obtenir des vents favorables dans sa navigation jusqu’à Troie, où il voulait aider Ménélas à ramener son épouse Hélène enlevée par Pâris.
Clytemnestre, épouse du roi, ne lui pardonne pas ce sacrifice et l’assassine avec la complicité de son amant Egisthe, avec qui elle règne ensuite sur la cité.
Électre, fille d'Agamemnon, connaît depuis une existence misérable au palais de Mycènes. Elle espère ardemment le retour de son frère Oreste, pour venger le meurtre de leur père, contrairement à sa sœur Chrysothémis.
Trailer Électre des bas-fonds. Cie des 5 roues
Texte et mise en scène de Simon Abkarian. pour 14 comédiennes-danseuses, 6 comédiens-danseurs et 3 musiciens. création au Théâtre du Soleil en septembre2019.
Simon Abkarian a lui aussi était touché par ce récit : « Bien sûr, il y a Euripide et Sophocle, Eschyle… J’aurais pu travailler sur l’une de ces pièces qui sont des chefs-d’œuvre absolus. J’ai choisi d’écrire ma version car je peux raconter cela comme on raconte une fable. »
Dans sa version, Electre est tombée dans les bas-fonds. Epousée par un ami de son père pour sa protection mais laissée vierge, elle vit dans un lupanar entourée de prostituées.
Son mari, interprété par Abkarian lui-même, est factotum dans la maison et apporte une touche comique, presque clownesque.
Le texte est précis, ciselé, avec des traits d'esprit qui ajoutent à sa profondeur.
Une douzaine de comédiennes-danseuses constituent le chœur des prostituées, Troyennes captives qui, au fil de la pièce, évoquent le sort des femmes condamnées soit à la soumission maritale soit à la déchéance.
Danse d’inspiration indienne, danse de cabaret, costumes foisonnants de diverses cultures, le mélange des genres au sein d’une tragédie est original mais rompt parfois regrettablement l’atmosphère dramatique.
Il faut dire que la mise en scène est très saturée avec quelques longueurs et redites : il y a le chœur, les protagonistes, l’intervention peu utile d’une conteuse, les passages dansés d’un Baron Samedi…
Sur le fond de scène en voiles blanches évocatrices de navire, des lumières monochromes changent l’atmosphère, plongeant par moment le tout dans un rouge sanglant.
Le rebetiko joué sur scène par le trio Howlin’ jaws, avec contrebasse, batterie et guitare à la Dick Dale, accompagne le drame sans jamais empiéter.
Porté par sa rythmique, un long monologue d’Oreste, parfaitement délivré par Eliot Maurel résonne comme un slam.
L’Electre rauque et brutale d’Aurore Frémont, dévorée par la haine et le désir de vengeance, trouve son contrepoint dans la douceur de Chrysothémis, qui lui rappelle ce que leur mère a souffert et l'interpelle sur ce désir de vengeance qui lui semble surtout un moyen de se donner de l'importance.
Abkarian donne à Clytemnestre un monologue fort pour dire l'homme qu'était réellement le prétendu héros Agamemnon, lui qui égorgea sa propre fille par ambition guerrière.
Malgré l’effet de troupe qui confine au carnaval, le jeu des comédiens est excellent, avec une diction remarquable
Passé le vertige, on sait que c’est du bon théâtre, le genre dont on porte longtemps les questionnements et qu’on ne regrette pas d’avoir vu.
Texte Simon Abkarian Dramaturgie Pierre Ziadé / Collaboration artistique Arman Saribekyan
Création lumière Jean-Michel Bauer et Geoffroy Adragna
Création musicale Howlin’ Jaws : Djivan Abkarian, Baptiste Léon, Lucas Humbert
Création collective des costumes sous le regard de Catherine Schaub Abkarian
Création décor Simon Abkarian et Philippe Jasko
Chorégraphies la troupe / Répétitrices Nedjma Merahi, Christina Galstian Agoudjian, Catherine Schaub Abkarian, Nathalie Le Boucher, Annie Rumani / Préparation physique Nedjma Merahi, Annie Rumani, Maud Brethenoux, Nathalie Le Boucher / Préparation vocale Rafaela Jirkovsky
Création et régie son Ronan Mansard Régie plateau Philippe Jasko
Chef constructeur Philippe Jasko avec l’aide de la troupe
Les photographies du spectacle sont l’œuvre d’Antoine Agoudjian
Production : Compagnie des 5 Roues
Coproduction : Théâtre national de Nice Centre dramatique national Nice Côte d’Azur
Le Théâtre du Soleil soutient la Compagnie des 5 Roues.
Électre des bas-fonds est publié aux Éditions Actes Sud-Papiers.
Spectacle créé le 25 sept. 2019 au Théâtre du Soleil, Paris