Vulnérable, provocante, flamboyante... Nelly Pulicani se jette à corps perdu dans le texte réuni par Julie Rossello-Rochet, dans une mise en scène dynamique de Lucie Rébéré. Elle porte le verbe de celle qui est devenue, par l'écriture de son destin tragique, Albertine Sarrazin, avec un peu de cet accent du sud chéri par l'écrivaine.
L'allée qui traverse le public est autant la route de la cavale que les trottoirs qu'elle arpente. Au bout, une baignoire, un miroir, et une radio qui diffuse en ouverture les circonstances insupportables de sa mort.
Nelly Pulicani se met à nu et s'immerge dans l'eau. Quand elle en ressort, elle est Albertine. Ou plutôt Anne-Marie Renoux, comme l'avait nommée le vieux couple qui l'avait adoptée, bébé, en Algérie pour l'élever dans une stricte éducation bourgeoise.
Il n'est pas évoqué ici le viol par un proche qu'elle a subi à 10 ans Simplement, la famille quitte l'Algérie et s'installe à Aix-en-Provence.
Elle est cette élève brillante mais à l'esprit frondeur que son père enverra, à seize ans à peine, dans la maison de correction catholique Bon Pasteur à Marseille.
La radio diffuse les mots qui disent l'humiliation, la coercition, la dépersonnalisation...
La salle de bains devient une cellule où les jours se comptent à la craie. Des cartons posés autour, la comédienne tirera les vêtements et accessoires de sa transformation.
Elle s'échappe et taille la route jusqu'à Paris. Fascinée par le monde de la nuit à Montparnasse, à l'ère des existentialistes, elle veut mener la belle vie.
Elle danse, et c'est la musique de Patti Smith qui retentit, anachronique mais en rappel que l'oeuvre d'Albertine Sarrazin fut une révélation pour la poétesse.
Anne-Marie est désormais Anick, parce que c'est plus chic. Elle fait les 400 coups, se prostitue et entame, avec une copine, une série de larcins qui finira mal et l'enverra à la prison de Fresnes, au grand regret du juge qui a compris son talent d'écriture en lisant son journal.
Quatre ans plus tard, elle se brise l'astragale pendant son évasion. C'est là, sur le bord de la route, que Julien Sarrazin, un petit malfrat, la ramasse, la cache et la fait soigner. Elle a vingt ans, c'est le coup de foudre.
Nelly Pulicani incarne toute l'obstination d'Anick qui parvient à guérir mais dont la vie oscille entre cavale et réinsertion, avec ce Julien qui finira par l'épouser entre deux gendarmes, pendant une permission.
Quand, enfin assagis, ils s'installent dans les Cévennes, Julien trime pendant que (re)naît Albertine Sarrazin. Elle écrit frénétiquement et grâce à un journaliste, fait parvenir un premier manuscrit à l'éditeur Jean-Jacques Pauvert. Il publie immédiatement La Cavale dont il aime la prose "gouailleuse et sophistiquée".
Nelly Pulicani trinque avec le public, distribue des pages et cite les titres des multiples traductions. On ressent la magnifique revanche de celle qui avait tant besoin d'exister.
Albertine, en pleine gloire, meurt à trente ans d’une opération chirurgicale bâclée. Julien Sarrazin gagnera, contre toute attente, un procès contre l'hôpital. C'est à la suite de cette affaire que sera créé un diplôme d'anesthésiste-réanimateur et que sera engagée la responsabilité du chirurgien jusqu'au réveil du patient.
Note : cette représentation a eu lieu devant un public restreint de professionnels, dans les conditions sanitaires drastiques imposées par la pandémie de covid-19.
Texte Julie Rossello Rochet - 2019
Mise en scène Lucie Rébéré
Scénographie Amandine Livet
Lumières Pierre Langlois
Son Clément Rousseaux, Ulysse Cadilhac
Costumes Floriane Gaudin
Jeu Nelly Pulicani Voix Bouacila Idiri, Ruth Nüesch, Mitchelle Tamariz, Gilles David
Production : Comédie de Valence, Compagnie La Maison.
Coproductions : Domaine d’O à Montpellier, Théâtre de Villefranche.
Soutiens : Fonds d’aide à l’accessibilité du spectacle vivant – DRAC Auvergne-Rhône-Alpes