J'ai été plaisamment réveillée par le tintement de cloches de vaches et des pépiements d'oiseaux.
Les conférences du jour sont entièrement consacrées à la nouvelle "The Adventure of the Illustrious Client/L'illustre client" dont le méchant est un homme soupçonné d'avoir assassiné sa première femme (voire une deuxième).
Le Baron Gruner, très bel homme, a jeté son dévolu sur une nouvelle jeune femme. Pour lui dérober le cahier secret où il a noté tous ses méfaits, Holmes et Watson lui tendent un piège, donnant aussi, sans le savoir, l'occasion à Kitty Winter de vitrioler le Baron qui fut la cause de sa déchéance pour le défigurer.
Guy Marriott, BSI, qui fut président de la SHSL, a été avocat. Il a donc fondé son exposé “What happened at Prague?” sur la raison d'un procès de Gruner à Prague, quand le prétendu accident ayant tué sa femme s'est déroulé au col du Splügen.
Selon lui, c'est parce que ç'aurait été un procès en civil pour des questions d'héritage et non pour le meurtre, d'où l'absence de condamnation. A l'époque, la Bohème faisait partie de l'empire austro-hongrois, et le Baron était autrichien
Cependant, le contexte de l'affaire est raconté ainsi par Holmes :
"Qui pourrait lire ce qui s'est passé à Prague et avoir le moindre doute quand à la culpabilité de cet homme! C'était un problème juridique purement technique et la mort suspecte d'un témoin qui l'a sauvé! Je suis aussi convaincu qu’il a tué sa femme lorsque le prétendu «accident» s’est produit dans le col du Splügen, comme si je l’avais vu le faire".
Mon commentaire a été plutôt qu'il y a eu DEUX meurtres, un dans chaque lieu, et mon hypothèse a été étayée plus tard par Catherine Cooke pendant son intervention en s'appuyant sur la phrase :
"Considérant qu'il sans aucun doute assassiné sa dernière épouse (his last wife)..."
Pour elle, le fait de parler de "sa dernière épouse" et non de "son épouse" prouve que le Baron a été marié au moins deux fois.
En outre, Guy Marriott a évoqué comme inspiration possible de ce cahier secret les "Black diaries". Supposés avoir été écrits par le révolutionnaire irlandais Roger Casement, les cahiers relataient ses liaisons homosexuelles avec de jeunes hommes.
Lorsqu'après le Easter Rising, Casement fut accusé de trahison, l'accusation suggéra à l'avocat de la défense de produire les journaux intimes en preuve que l'accusé était "insensé", ce qui lui sauverait la vie. Casement refusa et fut exécuté.
Marina Stajic, Ph.D., FABFT, ASH, BSI, de New York, USA, est une scientifique qui a été à la tête de laboratoires de police. Son exposé “Upon vitriol and vitriolage generally, with some observations upon the segregation of a vitrioleuse” est fondée sur ses dernières recherches sur les aspects toxicologiques dans le Canon.
En partant de l'invention puis des usages du vitriol dans l'industrie, elle a montré à travers des documents d'époque victorienne à quel point le vitriolage était devenu l'arme féminine à la mode, d'abord par des ouvrières du textile qui y avaient un accès quotiden puis dans toutes les couches de la société puisque le vitriolage était puni moins lourdement que d'autres armes, malgré ses atroces conséquence.
Le phénomène a même inspiré la gravure "La Vitrioleuse" d'Eugène Grasset qui pu elle-même inspiré à Doyle le physique de Kitty Winter.
Notons que l'acte connaît un regain massif à Londres où curieusement il est majoritairement le fait d'hommes contre d'autres hommes et non plus celui de femmes bafouées.
Masamichi "Mitch" Higurashi, BSI, venu du Japon, nous a présenté "Why Shoso-in ?", un exposé par lequel il a souligné les erreurs de Holmes et Watson dans leur plan pour faire passer ce dernier pour un connaisseur en matière de porcelaines chinoises. Après un tour d'horizon des caractéristiques de création propre à chaque dynastie, il a amplement prouvé qu'un seul livre et une journée n'auraient même pas donné des rudiments au bon docteur.
Pour ce qui est de Gruner, son intérêt pour la porcelaine a peut-être été éveillé à l'âge de 13 ans puisqu'il aurait pu en découvrir pendant l'exposition universelle de Vienne, en 1873.
Mitch a aussi souligné l'incongruité de la question de Gruner relative au Shoso-in localisé à Nara, où les cerfs sont sacrés. Mais là, il nous a bien eu car son commentaire était juste un moyen de nous assener un jeu de mot très holmésien, avant de terminer sur une judicieuse anagramme montrant que le Baron portait en lui-même le moyen qui le vaincrait...
Catherine Cooke, BSI, ASH, de Londres, au Royaume-Uni, a reçu le prix littéraire Tony et Freda Howlett en 2017 et est en charge de la collection Sherlock Holmes de la Westminster Reference Library.
Pour “Is There Any Truth in the Allegation?", elle a suggéré que l'inspiration la plus probable du personnage du Baron Grunner fut le comédien Dion Boucicault qui fut un coureur de jupons néanmoins marié trois fois. Il épousa en 1845 Anne Guiot, bien plus riche et âgée que lui.
Veuf et donc riche à son tour, il prétendit toujours que son épouse était morte d'un accident au col du Splügen...
Après les conférences, nous avons embarqué dans un bus spécial pour la toute première excursion de groupe holmésienne passant le col du Splügen.
Nous avons dû nous munir de notre passeport, puisque le col est sur la frontière italo-suisse.
Le bus est spécial du fait de son étroitesse et nous en avons vite compris la nécessité quand il a dû manoeuvrer en deux temps pour passer chaque virage en épingle à cheveux, le long des précipices.
En suivant le chemin menant au bord du lac, le contraste entre la vue de la neige et la chaleur est saisissant.
Nous pique-niquons sous un soleil radieux avant de rentrer à Splügen, avec un arrêt pour photographier le village au loin.
Après dîner, Michael Meer nous montre le reportage de la RTI qui a couvert l'événement et la soirée se termine autour de quelques bons verres d'adieu.