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Baronne Samedi

Broutilles paraissant le crésudi

L'Enchanteresse - Tchaïkovski/Zholdak/Rustioni

Publié le 25 Mars 2019 par Baronne Samedi in Art et spectacles, Opéra

© Stofleth -   Elena Guseva et Evez Abdulla

© Stofleth - Elena Guseva et Evez Abdulla

L’Enchanteresse de Tchaïkovski n’avait encore jamais été monté sur une scène française.

C’est donc une première que nous offre l’Opéra de Lyon.

L’œuvre est foisonnante, tant par les rôles principaux que par la richesse de l’orchestre et des chœurs. Le livret de Chpajinski avait tout pour séduire le compositeur déjà amateur de drames épouvantables de l’époque élisabéthaine :

Nastassia tient une auberge fréquentée par de libres penseurs et doit sa popularité tant à sa beauté qu'à son caractère. Le vieux clerc Mamyrov, éconduit, répand la rumeur qu’elle serait une sorcière qui détourne les jeunes gens.

 

Tant le prince Nikita que son héritier Youri s’éprennent de Nastassia qui, elle, n’est amoureuse que du fils. La mère de Youri exige de son mari qu'il mette fin à l’idylle mais le prince, lui-même très entiché, la menace de l'enfermer dans un couvent si elle s’en mêle.

 

La princesse révèle cette menace à son fils qui, pour sauver l'honneur de sa mère, promet de tuer la prétendue sorcière.

 

Plus tard, le prince Nikita presse Nastassia de ses assiduités au point qu’elle s’empare d’un couteau pour le chasser : il s’enfuit puis vient son fils prêt au meurtre de la jeune femme mais qui renonce tant est fort leur amour réciproque.

 

Les deux jeunes gens décident de s’enfuir au cours d’une chasse mais la princesse découvre leur plan et déguisée en pèlerine fait boire un poison à Nastassia qui meurt dans les bras de Youri, lequel succombera de la main de son propre père.

© Stofleth

© Stofleth

Andriy Zholdak a opté pour une approche moderne, avec une introduction en vidéo montrant un curé quittant une église en taxi à travers Lyon pour arriver à l’opéra.  De là, c’est sur scène, au lever de rideau, qu’on le voit entrer pour incarner le clerc Mamyrov.

Si, dans le livret, ce Tartuffe de la pire espèce, n’est plus visible après l’acte II, Zholdak au contraire l’inclut jusqu’au bout. Piotr Micinski n’est pas vocalement le soliste le plus intéressant, mais son jeu est excellent, en entité omniprésente, tantôt marionnettiste, tantôt voyeur, parfois empêtré dans des lunettes de réalité virtuelle symbolisant peut-être ses fantasmes lubriques.

La vidéo est constante pendant la représentation, et même si elle est souvent pertinente, l’œil s’épuise parfois car il faut suivre, en plus, les surtitres et des décors complexes.

(c) Stofleth

(c) Stofleth

Fréquemment scindé en trois parties pour montrer des lieux différents, le centre montre généralement une chapelle, à sa droite alternent la maisonnette de Kuma et le palais princier, et à sa gauche une chambre de son auberge.  Parfois, au gré de l'action, un seul décor est mis en avant.

Les changements sont fluides, avec en plus un jeu de rideaux occultant des parties du plateau ou soulignant des scènes par projection de gros plans.

© Stofleth

© Stofleth

Non content du décor déjà très saturé, le metteur en scène a  rajouté en arrière-plan une ribambelle d’effets burlesques au détriment de l’atmosphère tragique.

Un pseudo-Jésus confus se retrouve en pagne dans la chapelle, un danseur est à la barre, des serviteurs traversent la salle du palais en rampant, Kouma saute à la corde et Mamyrov brandit une raquette de tennis pour jouer une partie virtuelle pendant le final déchirant du Prince.

D’autres fantaisies sont plus obscènes : mime de fellation forcée, fessée dans la chapelle ou jupe retroussée n’ont aucun sens dans cette histoire et semblent avoir été fourrés là, avec le Mamyrov transformé en curé, comme une charge contre les riches et le clergé.

D’ailleurs la présence quasi-constante de la chapelle donne une tonalité religieuse à l’œuvre alors qu’il y a surtout là une tragédie de l’amour et du pouvoir.

© Stofleth

© Stofleth

Alors que tant de fioritures occupent la scène,  les chœurs si importants ont, eux,  été relégués en coulisse.

Passe encore, puisqu’on les entend très bien mais pour la scène de la fête à l’auberge, avec les rythmes endiablés de l’orchestre, ils auraient eu leur place au lieu d’une Kouma en blanc, coiffée d’une kokochnik, mouvant les bras telle une magicienne en pleine incantation.

Le metteur en scène suggère d’ailleurs qu’il y a réellement des sortilèges à l’œuvre, avec Kouma ouvrant la bouche comme pour feuler, des personnages parfois dotés de pattes de satyre ou Mamyrov soudain pourvu d’une queue de loup. 

(c) Stofleth

(c) Stofleth

Heureusement, la musique de l'orchestre est un emportement romantique superbement mené par Daniele Rustioni, tandis que la richesse des chœurs n’enlève rien à l’émotion qui imprègne les tragiques duos et ariosos.  

Elena Guseva nous offre une Kouma fascinante, grâce à un jeu tonique qui n’altère pas le timbre rond et puissant de son soprano. 

Le Prince Nikita est terrifiant à souhait, campé par un Evez Abdulla dont le jeu  solide rend aussi bien les fureurs que la folie qui précède sa mort. 

Malgré l’amour qu’elle a pour son fils, la princesse Eupraxie lui impose un rôle terrible et le puissant mezzo de Xenia Vyaznikova nous révèle bien son âme dévorée par la jalousie et le désir de vengeance.

J’ai aimé Migran Agadzhanyan, dont le ténor lumineux montre Youri encore enfant mais dont le jeu révèle la maturité face à des parents abusifs. Très brun et barbu, il était d'ailleurs ridicule de le montrer, dans certaines scènes, en culottes courtes, avec un ours en peluche.

La voix de Mairam Sokolova en Nenila était un plaisir qui faisait regretter que son rôle soit si court, tout comme pour le Païssi de Vasily Efimov.

Au-delà de la mise en scène qui peut enthousiasmer ou déranger, une partition comme L'Enchanteresse est vraiment à ne pas manquer.

L'Enchanteresse - Tchaïkovski/Zholdak/Rustioni

Du 15 au 31 mars 2019 à l'Opéra de Lyon

Diffusion sur France Musique et francemusique.fr le 14 avril 2019 à 20 h

L’Enchanteresse (“Tcharodeïka”)
Nouvelle production - Durée : 3h30 environ + entracte

Opéra de Piotr Tchaïkovski en quatre actes, 1887
Livret d’Ippolit Chpajinski

Direction musicale : Daniele Rustioni

Mise en scène et décors : Andriy Zholdak - Lumières : Andriy Zholdak et les équipes lumière de l’Opéra de Lyon
Décors : Daniel Zholdak - Costumes : Simon Machabeli Vidéo : Étienne Guiol
Conseiller dramaturgique : Georges Banu

Avec :
Nastassia, surnommée Kouma, aubergiste (soprano) : Elena Guseva
Prince Nikita Kourliatev, gouverneur de Nijni Novgorod (baryton) : Evez Abdulla
Princesse Eupraxie, sa femme (mezzo-soprano) : Ksenia Vyaznikova
Prince Youri, leur fils (ténor) : Migran Agadzhanyan
Mamyrov, vieux clerc (basse) : Piotr Micinski
Nenila, sa sœur, suivante de la princesse (mezzo-soprano) : Mairam Sokolova
Ivan Jouran, maître de chasse du prince (baryton-basse) : Oleg Budaratskiy
Loukach, fils de marchand (ténor) : Christophe Poncet de Solages
Kitchiga, lutteur (basse) : Evgeny Solodovnikov
Païssi, vagabond sous l’apparence d’un moine (ténor) : Vasily Efimov
Koudma, sorcier (baryton) : Sergey Kaydalov
Foka (baryton) : Simon Mechlinski
Polia, amie de Kouma (soprano) : Clémence Poussin

Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon

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