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Baronne Samedi

Broutilles paraissant le crésudi

Dom Juan ou le Festin de Pierre - Molière/Coutureau

Publié le 3 Février 2018 par Baronne Samedi in Art et spectacles, Théâtre, Oullins

Dom Juan ou le Festin de Pierre - Molière/Coutureau

Le manifeste de la compagnie Théâtre Vivant est une célébration de tout ce qui fait de son art une nécessité : "En s’identifiant aux personnages, les spectateurs vont à la rencontre d’eux-mêmes. Ils ne se contentent pas d’observer les mécanismes qui ont construit les comportements, ils ressentent, ils comprennent dans leur chair la réalité d’une nature commune [...]  Nous voulons résister au vide et à la mort. Nous voulons faire du théâtre vivant."

 

Cette aspiration à la vie, c'est l'essence même de Dom Juan, viveur, mécréant, suprême égoïste...  Sous la plume d'un moine espagnol, Tirso de Molina, naquit d'abord un personnage veule, impie, qui tentait de se repentir en appelant un confesseur avant d'être dévoré par les flammes.

 

L'histoire transita par la commedia dell'arte jusqu'à Molière qui en écrivit, en 1665, une version qui plus tard inspirera le livret de Da Ponte pour l'opéra de Mozart, "Don Giovanni". 

 

Le personnage qui défie la morale, l'ordre public, et même Dieu devient une figure mythique. La fin spectaculaire y est  probablement pour beaucoup mais c'est l'insolence à tout crin de l'homme qui en impose.

 

Dom Juan est ignoble mais si on accepte le mauvais garçon, c'est pour une raison que Molière fait dire à Sganarelle quand on lui demande pourquoi son maître a fui après son mariage :

- [...] c'est qu'il est jeune encore, et qu'il n'a pas le courage.

(c) Svend Andersen - Florent Guyot et Peggy Martineau

(c) Svend Andersen - Florent Guyot et Peggy Martineau

Chez Molière nous n'avons donc pas affaire à un vieux noceur, mais à un garçon piégé par sa époque,  obligé de se marier et se confire en religion quand il frémit encore de toute la fougue de la jeunesse et des emportements têtus qui le mèneront à l'abîme.

 

Pour montrer l'universalité des sentiments exposés, Anne Coutureau a "choisi d’inscrire la pièce dans l’époque actuelle et, à ce titre, de reconsidérer chaque personnage et chaque relation". Pour elle, "nous sommes conduits à nous interroger sur le métissage culturel et les rapports de classes, ainsi que sur les relations entre hommes et femmes ; à aborder les questions de la religion et de la foi, tout comme celles de la famille, du mariage et de l’éducation."

 

Ainsi, Dom Juan en noire élégance, flanqué  d'un Sganarelle en veste à capuche, vient troubler la vie des paysans transposés dans une banlieue urbaine pauvre. Alison Valence en Charlotte, joue avec naturel la jeune fille qui suivrait sans hésiter le beau parleur sans se soucier de ce qu'en pense son Pierrot. Le promis, joyeux drille et fou d'amour, est porté avec une magnifique énergie par Birane Ba, qui délivre son texte impeccable dans un staccato digne d'un rappeur.  

 

Dans une querelle épique, Charlotte se voit disputer les faveurs de Dom Juan par Mathurine campée par une Aurélia Poirier inénarrable, sanglée dans sa mini-robe rouge, avec toute la gestuelle de la petite pétasse. Le texte est intact et pourtant, on se croirait au coin de la rue.

(c) Svend Andersen - Birane Ba, Florent Guyot et Alison Valence(c) Svend Andersen - Birane Ba, Florent Guyot et Alison Valence

(c) Svend Andersen - Birane Ba, Florent Guyot et Alison Valence

Comme l'a dit Anne Coutureau, lors du bord de scène, la pièce repose essentiellement sur la personnalité de l'acteur principal et Florent Guyot en a la carrure, dans sa performance physique comme dans les nuances de son expression. 

Il est tous les âges de Dom Juan. Bouillonnant comme un adolescent, sec comme un homme pris de cynisme, il montre aussi le détachement las de celui que plus rien ne peut surprendre.

Au gâchis qu'il a fait de sa haute naissance, Sganarelle oppose une noblesse qu'il se fabrique, à grands coups de morale et de préceptes mal ficelés. Il se prend pour la conscience de Dom Juan, une excuse pour rester auprès d'un maître méprisable qui le fascine.

L'alchimie entre Florent Guyot et Tigran Mekhitarian est parfaite. Ce Sganarelle très attachant, confondant de naturel, souligne à quel point Dom Juan serait seul sans son valet qui lui sert d'intermédiaire et même de courage, quand il s'agit de défier la statue du Commandeur.

 

(c) Svend Andersen - Tigran Mekhitarian

(c) Svend Andersen - Tigran Mekhitarian

La fameuse statue du Commandeur, ce Convive de Pierre qui finit par saisir Dom Juan par la main pour l'emmener en enfer... 

Anne Coutureau a voulu échapper à ce grand classique en remplaçant cette figure par un Christ vivant, pour rappeler le puissant contexte religieux de l'époque. Personnellement, je n'ai pas adhéré mais c'est une paille au regard de l'excellence du spectacle.

Le parfait équilibre entre drame et rire a été porté magistralement par les comédiens, pour le grand plaisir d'un public conquis. 

(c) Svend Andersen - Florent Guyot et Pascal Guignard-Cordelier

(c) Svend Andersen - Florent Guyot et Pascal Guignard-Cordelier

Du 1e au 3 février 2018 au Théâtre de la Renaissance.

Mise en scène  Anne Coutureau, assistée d'Élise Noiraud
Décor James Brandily - Costumes Julia Allègre
Lumières Dominique Fortin - Son Jean-Noël Yven

Dom Juan  Florent Guyot - Sganarelle Tigran Mekhitarian
Done Elvire Peggy Martineau - Don Carlos Kevin Rouxel
Le Pauvre Pascal Guignard-Cordelier - Pierrot Birane Ba
Don Louis Dominique Boissel - Monsieur Dimanche et Don Alonse Johann Dionnet
Mathurine et Gusman Aurélia Poirier - Charlotte Alison Valence

Durée :  2 h 10

Production  Théâtre Vivant.

En co-réalisation  avec le Théâtre de la Tempête. Avec le soutien de la Direction des Affaires Culturelles d’Île-de-France – Ministère de la Culture et de la Communication et le soutien de la Fondation NAH, de l’Adami et de la Spedidam.

 

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