Au Théâtre de la Croix-Rousse se joue le fameux Opéra de quat' sous (Die Dreigroschenoper), écrit par Bertolt Brecht et mis en musique par Kurt Weill.
L'oeuvre, créée en 1928 à Berlin, s'inspire de L'Opéra du Gueux (The Beggar's Opera) dont l'idée revient à Jonathan Swift qui suggérait à Alexander Pope : «Que diriez-vous, d'une pastorale qui se déroulerait à Newgate parmi les voleurs et les putains qui s'y trouvent ? ». Leur ami John Gay en fit, non une pastorale, mais un opéra satirique qui parut en 1728.
En fait, Kurt Weill appelait "pièce en musique" cette fresque truculente des bas-fonds, alternant textes et chansons, au croisement du jazz, de la musique savante et du cabaret :
"Avec l'Opéra de quat' sous, nous atteignons un public qui soit ne nous connaissait pas soit nous pensait incapables de captiver l'auditoire. [...] L'opéra a été créé comme un art aristocratique. [...] Si son format ne supporte pas le temps, alors il faut le démolir.... Nous avons pu le reconstruire dans l'Opéra de quat' sous, parce que nous avions une chance de repartir de zéro."
Ce fut le plus grand succès de son époque et renouvela le genre au-delà des frontières.
L'action se déroule à Londres où, sur fond de corruption policière et de filles perdues, Peachum, roi des mendiants, et le dangereux criminel Mackie-le-Surineur, dominent les bas-fonds.
Dans le courant de la Nouvelle Objectivité, l'oeuvre d'une féroce lucidité fait dire au criminel:
« De quoi vit l’homme ? De sans cesse torturer, dépouiller, déchirer, égorger, dévorer l’homme. L’homme ne vit que d’oublier sans cesse qu’en fin de compte il est un homme. »
Quant aux bien-pensants qui prônent les bonnes moeurs, ils s'entendront assener au nom du petit peuple :
« D'abord, il y a la bouffe, après passe la morale »
La lumière joue un rôle fort dans le décor versatile à base d'élements roulants, de cartons et de panneaux, mais l'originalité de la scénographie réside dans les grandes marionnettes d'Emilie Valantin, personnalisant les anonymes au gré de l'histoire : mendiants, prostitués, hommes de main...
Alors qu'en 1955, Brecht avait largement révisé le texte, Jean Lacornerie a demandé à René Fix une nouvelle traduction de l'oeuvre originale pour en garder la juvénilité et en faire ressortir tous les niveaux de langue, du choral luthérien à l'argot berlinois.
C'est un bon choix qu'a fait le metteur en scène pour la partie musicale : les chansons en allemand surtitré collent à merveille au style grinçant et syncopé de l'orchestration originale de Weill.
On retrouve le très charismatique Jacques Verzier, dans un jeu aussi bon que celui dont il nous avait régalés dans Le Roi et moi et Bells are ringing.
Amélie Munier campe une Lucy haute en couleurs et porte son aria avec fougue, tandis que le Tiger Brown de Gilles Bugeaud est un modèle de veulerie sentimentaliste.
Vous avez jusqu'au 12 novembre pour voir la pièce au Théâtre de la Croix-Rousse, puis elle sera en tournée en France.
Musique Kurt Weill Texte Bertolt Brecht basé sur la traduction par Elisabeth Hauptmann de « L’Opéra des gueux » de John Gay Traduction française René Fix
Mise en scène Jean Lacornerie
Direction musicale Jean-Robert Lay Chef de chant Stan Cramer
Chorégraphie Raphaël Cottin Scénographie Lisa Navarro
Costumes Robin Chemin Lumières David Debrinay
Marionnettes Émilie Valantin
avec
Gilles Bugeaud Tiger Brown Pauline Gardel Polly Peachum Vincent Heden Mackie Messer
Nolwenn Korbell Jenny Amélie Munier Lucy Florence Pelly Celia Peachum
Jean Sclavis Filch Jacques Verzier Peachum
9 musiciens (orchestration originale)
Textes en français - Chansons en allemand, surtitrées
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