Pour Victor Hugo, Lucrèce Borgia, fille dépravée d’un pape et d’une courtisane, est un monstre qui n’hésite devant aucun crime pour assouvir sa soif de pouvoir. Pourtant, parce qu’elle est capable d’un poignant amour maternel, Lucrèce devient un personnage fascinant.
David Bobée a fait le choix audacieux de Béatrice Dalle, dont c’est le premier rôle au théâtre, en déclarant : «Elle est avant tout une personne entière, intègre, généreuse, puissante, drôle et fragile». Elle-même a dit, lors de la conception de la pièce, voir en Lucrèce «une femme super-tendre» et avoir «envie de la vivre, pas de la jouer».
C’est bien la tendresse qui domine dans son jeu, donnant de Lucrèce l’image d’une femme victime de sa naissance, et presque méchante malgré elle. Malgré les circonstances de la pièce, elle n’est jamais masquée, seulement drapée dans une longue robe noire mais vibrante des contradictions qui l’agitent.
David Bobée est engagé dans une recherche mêlant le théâtre, la musique, la danse et les effets spéciaux. Sa version est à la (dé)mesure d’une pièce dont chaque acte contient au moins une scène du plus grand effet dramatique. L’action est soulignée par le chant mélancolique de Butch McKoy et sa guitare électrique. On peut regretter le choix de l’anglais dans cette histoire terriblement italienne.
L’action débutant à Venise pour se finir à Ferrare, l’eau domine.
La pièce s’ouvre sur Gennaro et ses amis nonchalamment perchés sur des rails de projecteurs mouvants, dont les oscillations alternées évoquent irrésistiblement des marins campés dans une voilure.
Lucrèce arrive à Venise en secret pour retrouver Gennaro qui ignore ses origines. Issu d’un inceste, il a été confié à un pêcheur et ne connaît la tendresse de sa mère que par des lettres qu’il chérit. Alors que Lucrèce attendrie va se révéler, elle est démasquée par les compagnons de Gennaro qui énoncent la liste de ses crimes et la dégrade aux yeux du garçon.
Pour ajouter au drame, Alphonse d’Este, le mari jaloux de Lucrèce, se méprend sur la tendresse de Lucrèce et croyant que Gennaro est son amant, décide de sa perte.
Ainsi Lucrèce use tour à tour de ruse maternelle pour sauver Gennaro de la sentence d’Alphonse, et de cruauté pour se venger des hommes qui l’ont humiliée. Son désir de rédemption a été bien vite étouffé par Gubeta, son confident sournois dont l’esprit est aussi vif que ses desseins sont noirs.
Une impitoyable machination apporte le fameux poison des Borgia au banquet donné par la Negroni aux compagnons de Gennaro, et dont David Bobée a fait un moment extraordinaire : les jeunes gens dansent, chantent et plaisantent, abandonnés dans l’ivresse, et c’est une célébration de la vie magnifique que ces beaux corps d’acrobates.
Leur destin tragique n’en est que plus épouvantable et l’on est littéralement saisi de terreur impuissante.
Dans cette mise en scène visuellement fantastique, le texte est pourtant préservé. Il faut saluer particulièrement en cela Jérôme Bidaux pour son interprétation insolente de Gubetta et Thierry Mettetal qui fait de la tirade d’Alphonse à Lucrèce un morceau de bravoure dont l’escalade est fascinante.
Théâtre de la Croix-Rousse | Lucrèce Borgia
Pour qui n'a pas lu ou entendu depuis longtemps la langue de Victor Hugo, ce bonheur contagieux d'une écriture qui roule et qui sonne, Lucrèce Borgia est un cadeau. Mais pas seulement, car le ...
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