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Baronne Samedi

Broutilles paraissant le crésudi

Nosferatu - Murnau

Publié le 16 Octobre 2014 par Baronne Samedi in Art et spectacles

Le premier film de vampire « Drakula halála » réalisé par Lajthay, en 1921, était la première adaptation au cinéma du roman de Bram Stoker publié en 1897. Avec «Nosferatu» Murnau tourna la seconde en 1922, changeant les noms pour échapper aux droits d’auteur. L’épouse héritière de Bram Stoker dénonça malgré tout le pillage et obtint de la justice une décision de destruction. Elle ne fut pas mise en œuvre et tel une malédiction inexorable, ce chef d’œuvre de l’expressionnisme persiste jusqu’à ce jour.

Par une curieuse ironie, il a probablement largement contribué à faire connaître Stoker et ouvert la voie à des dizaines de déclinaisons de l’image du vampire.

Pour la sixième année consécutive, le festival Lumière poursuit la mise en valeur des films essentiels des débuts du l'histoire du cinéma, dans des conditions de projection et d'écoute exceptionnelles avec, le 15 octobre à l’Auditorium, une copie restaurée en 2006 et mise en musique par l’Orchestre national de Lyon, sous la direction de Timothy Brock qui a composé la partition.

Par un heureux hasard, avant l’arrivée du chef d’orchestre, la prise en main des instruments par les musiciens a produit une cacophonie qui a préfiguré le malaise que le film suscite.

(c) F3 Lyon

(c) F3 Lyon

Une introduction musicale d’une dizaine de minute plutôt enjouée, riche en cordes et bois, relevée de timbale, constitue l’ouverture suivie d’un mouvement plus grave au cours du générique. Par contraste, c’est une jolie mélodie qui illustre le bonheur d’Ellen et Hutter, un couple amoureux.

Le jeune homme se voit confier par son patron, la mission d’aller rencontrer dans les Carpates un certain comte Orlock qui souhaite acquérir une maison dans leur ville de Viborg. Tandis que Knock explique l’affaire à son employé, son expression soulignée d’un pizzicato insistant laisse supposer une intrigue. D’ailleurs, le thème joyeux initial est repris assombri quand l’épouse d’Hutter est saisie d’un mauvais pressentiment quand il annonce fièrement son départ.

Le voyage est jalonné de présages funestes, sur une musique en mode mineur alourdie de cuivres et, pendant l’étape à l’auberge, Hutter découvre que la seule évocation du nom d’Orlock suscite la frayeur. Toujours optimiste, il mange de bon appétit avant d’aller se coucher. Un livre à son chevet explique ce que sont les vampires, et c’est une ligne de basse qui rend l’affaire inquiétante alors qu’Hutter lui-même ne semble pas s’en émouvoir. Au matin, il est joyeux, tout comme la musique toute en flûtes et violons qui accompagne l’apparition du soleil.

Mais peu à peu l’atmosphère s’alourdit… Comme personne ne veut entrer dans le domaine du comte, Hutter est obligé de marcher seul, jusqu’à l’apparition soudaine d’un fiacre dont le cocher patibulaire lui intime, d’un geste de son fouet, qu’il doit y monter.

L’orgue fait son entrée en même temps que l’attelage entre dans le château et c’est lui qui jusqu’à la fin accompagnera, en accords funestes, les mouvements du comte.

Celui-ci accueille seul Hutter, la tête enfouie dans un bonnet et drapé dans des vêtements sombres ne cachant guère sa silhouette étrange.

De fait, Orlock, interprété par Max Schreck, est plus proche de l’animal que de l’être humain, avec ses oreilles immenses, ses griffes et ses crocs. C’est encore le vampire primitif, un être maudit pas encore enjolivé des maniérismes flamboyants ou romanesques qui le caractérisent aujourd’hui.

Nosferatu - Murnau

Après une conversation contrainte au cours de laquelle Orlock découvre avec admiration le portrait d’Ellen, un miaulement de violon fait frémir juste avant qu’Hutter se coupe et se retrouve ainsi à la merci de Nosferatu.

Murnau joue avec maestria du noir et blanc, en l’occurrence légèrement teinté de jaune ou bleu selon les ambiances, pour une rare puissance d’évocation. Les effets spéciaux ajoutent encore à l’ambiance inquiétante, avec des portes s’ouvrant seules, un couvercle de cercueil venant se placer de lui-même, des images en transparence et l’ombre du vampire qui semble parfois pleine de substance.

Le déroulement de l’action s’accélère grâce à un procédé de montage entrelaçant des scènes distantes simultanées : quand au château, Nosferatu s’approche de Hutter, à Viborg Ellen, somnambule, appelle son époux et la caméra revient sur lui, montrant sur ses vêtements l’ombre du vampire qui recule. Lorsqu’Hutter épuisé s’évade du château pour tenter de rejoindre son épouse, les images de son périple alternent avec celles de Nosferatu affrétant un navire et d’Ellen dévorée d’inquiétude.

Dans le quatrième acte, la mélodie d’une douceur trompeuse se pose sur l’image des vagues roulant sur le rivage, presque sensuelles, alors qu’elles amène un navire de mort chargé de rats.

Une escalade chromatique saisissante accompagne leur propagation, escortant Nosferatu qui atteint enfin son but : s’installer en face de la maison d’Ellen pour exercer une emprise maléfique. Elle est désormais inexorablement attirée vers lui jusqu’à l’aube terrible où dans un ultime sacrifice, elle se libère en même temps que la ville.

Nosferatu - Murnau

Murnau, disparu prématurément, n’a pas pu jouer la carte du parlant mais c’est justement, l’absence de dialogues qui donne au film l’allure d’un cauchemar. Ces choses qui vivent la nuit n’ont pas besoin de mots pour attirer leurs victimes et aucune réplique ne saurait mettre fin à leur maléfice.

La partition musicale de Timothy Brock ne donne pas dans l’illustration sonore sauf pour le roulement de tambour du crieur public annonçant l’épidémie de ce qu’on croit être la peste. On se prend à le regretter parfois car la musique très dense se suffisant à elle-même, prend parfois le pas sur l’image.

Si « Nosferatu » n’est pas un film d’horreur à l’aune des productions actuelles, il reste pourtant efficace : ce ne sont pas des monstres bondissants dans des flots d’hémoglobine qui nous hantent mais l’idée du Mal absolu, qui se propage jusque dans le sang.

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