Je l'avoue, le peu de Ligeti que j'avais entendu m'avait évoqué un paquet de bruits.
Grâce à la soirée qui lui était consacrée hier au Théâtre de la Croix-Rousse, j'ai pu m'ouvrir à cette approche différente de la composition.
En avant-propos, Julian Boutin, altiste du quatuor Béla, a évoqué leur travail sur les « Métamorphoses nocturnes » et leur regret de n’avoir pas pu le soumettre à Ligeti, disparu en 2006. Soulignant l’esprit frondeur et sensible du compositeur, il annonçait le film de Michel Follin qui méritait son prix de Meilleur documentaire musical décerné en 1992 par la SACEM.
Sur fond de voyages en train, Ligeti se raconte, de sa naissance en Transylvanie jusqu’à Cologne, en passant par l’Académie Liszt de Budapest où il arrive trop tard pour rencontrer son idole Bartók.
On découvre un enfant imaginatif, inventeur d’une société utopiste et bercé de musique tsigane. Destiné par son père à des études scientifiques, il finit par imposer son besoin de musique et obtenir un piano pour jouer avec son frère violoniste.
Le bonheur est malheureusement de courte durée car le nazisme viendra broyer sa famille, puis ce sera le régime soviétique dont le totalitarisme le poussera en 1956 à s’enfuir à l’ouest.
Tout au long de son récit, Ligeti évoque la peur qui l’accompagne, instillée dans l’enfance par une tante qui l’obligeait à ramasser les toiles des araignées qui le terrorisaient, puis par les images grotesques et macabres de Bosch.
La peur grandira encore sous les régimes totalitaires, avec leurs célébrations calibrées et les applaudissements cadencés qui, lorsqu'il en entend lors de concerts, réveillent encore le souvenir de ces années de terreurs.
S’il avoue la noirceur qui lui reste et qu’il a tenté d’exprimer dans le Requiem ou le Grand Macabre. C’est avec douceur qu’il parle de sa curiosité pour la musique et sa volonté de mettre en sons les illusions visuelles, et il y a beaucoup d’humour dans les Nonsense Madrigals et la Symphonie pour 100 métronomes.
Par ses gestes et avec les images bien choisies par Follin, on comprend que Ligeti une perception visuelle de la musique. Il évoque la composition comme un tissu, une polyphonie déployée de manière apparemment statique avec à l’intérieur des tranches subtiles variations. Il prend comme analogie un paysage vu d’un train, découpé par le cadre des fenêtres et néanmoins continu. C’est d’ailleurs une gravure ondoyante de Klee qui lui inspirera un méthode de transcription. Il expose aussi sa fascination pour les sons mécaniques.
En Allemagne, Ligeti se consacra trois ans aux sons électroniques, les triturant et les juxtaposant pour des compositions innovantes mais, amoureux des instruments traditionnels, il préféra ensuite utiliser cette expérience pour la transposer aux voix et orchestres.
La projection du film était suivie d’un concert en trois parties. D’abord la Sonate pour violoncelle solo, remarquable interprétée avec Luc Dedreuil qui en a rendu toute la résonance slave et les échappées ludiques.
Les trois autres musiciens l’on rejoint ensuite pour jouer le Quatuor n° 1, dont le manuscrit fut le seul qu’emporta Ligeti lors de sa fuite vers l’Allemagne en 1956, puis le Quatuor n°2, écrit en 1968.
A la lumière de l'exposé du compositeur, j'ai pu apprécier la qualité créative des oeuvres, tout comme, il y a 15 ans, j'ai découvert électro et techno. Mieux vaut tard que jamais...
Le Quatuor Béla est composé de Julien Dieudegard et Frédéric Aurier (violons), Julien Boutin (alto) et Luc Dedreuil (violoncelle). Leur disque Métamorphoses nocturnes de Ligeti est sorti début novembre 2013 chez Outhère/Aeon.