La trilogie « Henri VI » de Shakespeare nous conte la vie de ce roi d’Angleterre couronné à peine né. 15 actes, 150 personnages et près de 10 000 vers retracent son règne, sous lequel prit fin la guerre de Cent ans et commença celle des Deux-Roses.
C’est un feuilleton épique et tragique que le jeune comédien-metteur en scène Thomas Jolly empoigne pour le monter en deux cycles, portés par sa compagnie, La Piccola Familia.
Créé en janvier 2012, le premier cycle regroupe la première pièce et la moitié de la seconde. Nous avons pu mi-décembre aborder ce monument grâce au Théâtre de la Croix-Rousse qui lui offrait un écrin à sa démesure.
Il n'a peur de rien, Thomas Jolly : il ne lésine ni sur le son ni sur les lumières, et ce sont pas moins de 19 comédiens qui portent la pièce pendant huit heures, les trois entractes permettant au public de reprendre son souffle sans pour autant laisser languir l’action
L’énergie sur scène est impressionnante ; chaque comédien interprète plusieurs personnages en un changement de costume et les décors alternent avec maestria. La pièce est pourtant très compréhensible : chaque lieu est nommé et chaque lignée de personnage est clairement désignée par ses vêtements un mélange d’étoffes somptueuses à l’allure d’époque pour les nobles et d’esquisses minimales plutôt contemporaines pour les seconds rôles.
Le cycle se déroule en quatre épisodes. Le premier, « La Course de Mars » s’ouvre sur les funérailles de Henry V. En France, les Anglais assiègent Orléans et Jeanne d’Arc se révèle, pour mener le Dauphin Charles à la victoire.
Sur fond de guerre et d’intrigues, le ton est néanmoins à la farce, avec une galerie de personnages inénarrables. On appréciera particulièrement Bruno Bayeux dont le Cardinal Winchester est un cocasse mélange de fourberie et de componction.
Les effets spéciaux sont saisissants avec des trouvailles comme ces rubans de danse rythmique qui, brandis au bout de baguettes, rendent, aux mains des combattants, le mouvement tumultueux des affrontements.
Un ballet de chaises, tantôt chevaux, tantôt bûcher, se déploient devant le fond de scène à deux étages, figurant chapelle, rempart ou palais selon les besoins de l’action.
« Le Festin de Mort » se fait témoin de la discorde entre Richard Plantagenêt, devenu duc York et Somerset qui finira par causer un désastre militaire pour les Anglais en France. Le fracas de la musique et un fond prégnant de tambours lancinants annoncent les événements funestes qui jalonneront le règne de Henri VI, trop doux et pieux pour sa charge, à commencer par son mariage avec Marguerite d’Anjou, machiné par un Suffolk, tant par ambition que par passion.
La guerre terminée, toute l’énergie des courtisans se concentre sur la lutte pour le pouvoir. Dans « Le Carrousel de la Fortune », York, magistralement incarné par un sombre Eric Challier, rêve de rétablir ses droits à la couronne quitte à appuyer les noirs desseins de ses adversaires. On voit poindre Richard III... Le pauvre Gloucester, protecteur du roi loyal mais desservi par l’ambition de son épouse, reste le dernier rempart entre le jeune roi et sa cour avide de pouvoir.
Victime de calomnies, il se prépare, la tête haute, à affronter ses détracteurs dans « La plainte de la Mandragore ». Il n’en aura pas le temps car Suffolk le fera mourir avant le procès. On est surpris de constater que Warwick déterminant si la cause est naturelle interprète les signes sur le corps, d’une manière digne de la médecine légale actuelle.
La reine Marguerite, de crainte d’être reconnue comme complice du meurtre, entame un monologue déchirant, se plaçant en victime avec un cynisme stupéfiant. C’est dans cette tirade que Charline Porrone donne sa pleine mesure.
Tout au long de la pièce, les acteurs s’expriment face au public. Si l’effet est parfois statique, il a le mérite de nous happer dans le texte. En outre, Thomas Jolly ayant allégé la pièce, il nous offre une narratrice, la piquante Manon Thorel qui vient, en intermède, nous résumer les scènes manquantes et nous amuser de ses bons mot pendant les changements de décor.
La mise en scène recèle bien d’autres surprises et clins d’oeil. On attend impatiemment du cycle 2 qu’il vienne, avec autant de brio, compléter l’histoire et l’on se prend même à souhaiter que Jolly nous donne un jour son « Richard III »
« Henry VI » Cycle 1, mis en scène par Thomas Jolly avec La Piccola Familia le 15 décembre 2013 au Théâtre de la Croix-Rousse