J'étais curieuse de cette exposition car, à ma grande honte, je pensais que Auguste Renoir était nettement plus âgé que Paul Cézanne. Je voyais l'un confit en classicisme et l'autre, plus jeune et moderne, précurseur du cubisme. En réalité, ils n'avaient que deux ans d'écart et Cézanne était l'aîné...
Renoir et Cézanne ont tous deux mené à la modernité picturale : le premier par le chemin de traverse de l’impressionnisme, où la ligne cède le pas à la touche, à la couleur et à la lumière ; le second en pavant une voie nouvelle aux tracés rythmiques et synthétiques.
Ils n'ont cessé pourtant de se rencontrer, par amitié, par admiration réciproque et par une communauté de sujets.
En alternant les oeuvres des deux peintres, l’exposition relève les thèmes qu'ils affectionnaient (paysages, natures mortes, portraits) et leur manière de les peindre.
Les tableaux faits à l'intérieur, dans l'atelier, ne vaudront jamais les choses faites en plein air. En représentant des scènes du dehors, les oppositions des figures sur les terrains sont étonnantes et le paysage est magnifique. Je vois des choses superbes et il faut que je me résolve à ne faire que des choses en plein air...
Lettre de Cézanne à Zola vers le 19 octobre 1866
La mise en regard des deux artistes met en évidence leur évolution stylistique singulière.
Le poirier d’Angleterre, où Renoir présente un paysage pleinement impressionniste dominé par les différentes tonalités de vert, marque l’attrait du peintre pour une végétation foisonnante. Elle est à la fois le décor et le sujet de la toile, dominant les trois figures humaines qui mettent en valeur le côté monumental du poirier.
Les reflets lumineux que s’attache à traduire le peintre se retrouvent dans les jeux de couleurs, marqués par des tons clairs et une touche légère presque transparente. Les personnages sont à peine ébauchés alors qu’il est un adepte des scènes de genre.
Dans Paysage au toit rouge, Cézanne initié à la peinture en plein air par Pissarro joue avec les effets de matière pour en représenter les différents éléments. Le ciel est balayé à la brosse, des touches longues évoquent l’étendue des champs, le feuillage exprimé par des virgules animées et les maisons en touches épaisses.
L’œuvre surprend par sa composition asymétrique qui ne désigne aucun sujet précis sinon le paysage tout entier. Un arbre au premier plan ouvre sur l’horizon, alors qu’au cœur du tableau un massif dissimule l’entrée d’une maison, à peine visible.
Dans Les pêches, Renoir multiplie les points de vue. Il propose une vision plongeante sur le sujet principal placé au centre dans un compotier blanc. Il met en évidence les tons chatoyants des fruits disposés en pyramide avec en contrepoint une pêche isolée.
Les motifs de la tapisserie avec ses feuillages colorés forment un véritable paysage traité avec la touche impressionniste.
Dans Vase paillé, sucrier et pommes, le vase paillé, thème récurrent des natures mortes de Cézanne, se révèle le pivot de la composition. Les fruits à la sensualité palpable, apparaissent au premier plan d’une mise en scène théâtrale, tandis que la table semble basculer, les jeux de lumière et de couleur structurent la scène. Le sucrier et l’assiette blanche apportent de la clarté.
Le tableau souligne la monumentalité avec laquelle Cézanne parvient à représenter de modestes objets du quotidien.
Avec une pomme, je veux étonner Paris
Cézanne
Collectionneur et marchand d'art parisien renommé, Paul Guillaume débute sa carrière dans les années 1910 où il bénéficie des conseils avisés du poète et critique d'art Guillaume Apollinaire qui l'introduit dans les cercles de l'avant-garde parisienne.
Dès ses débuts, il mise sur de jeunes artistes à la veine moderne et lance Giorgio de Chirico, Amedeo Modigliani, Maurice Utrillo ou encore Chaïm Soutine.
Il connaît ensuite une ascension fulgurante qui lui permet l'achat d'œuvres de maîtres déjà reconnus. Renoir et Cézanne intègrent alors sa collection aux côtés de Derain, Matisse et Picasso.
L’avant-garde turbulente du début du 20e siècle porte un regard attentif sur les maîtres qui les ont directement précédés. Le Salon d’automne de 1904 consacre l’influence de Cézanne sur la jeune peinture et plus tard sur le cubisme.
L'influence de Renoir se fait sentir plus tard, dans l’œuvre de Matisse comme de Picasso et d’autres artistes, en particulier par ses baigneuses.
J'ai beaucoup aimé l'exposition qui m'a permis de voir des oeuvres de Cézanne que j'aime beaucoup, et de rendre justice à Renoir qui m'évoquait surtout des couleurs mièvres.
Il reste que je préfère Cézanne, pour son audace tranchante et la fausse simplicité de ses tableaux.