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Baronne Samedi

Broutilles paraissant le crésudi

Irrelohe - Schreker/Bösch/Kontarsky

Publié le 27 Mars 2022 par Baronne Samedi in Art et spectacles, Opéra, Opéra de Lyon

Dans le cadre du festival "Secrets de famille", l'Opéra de Lyon présente le rare Irrelohe.

Figure musicale majeure de la République de Weimar, Franz Schreker a mis la richesse de sa palette musicale au service d'une œuvre marquée par la morbidité et la sexualité.

Il connut un succès immense avec Der ferne Klang (Le Son Lointain) ou Die Gezeichneten (Les Stigmatisés) mais Irrelohe (Feu Follet) créé en 1924, fut le chant du cygne de celui qui était devenu le directeur éminent de l'Ecole supérieure de musique de Berlin. Juif, symbole de la "musique dégénérée/Entartete Musik" aux yeux des nazis, il fut mis à l’écart par le nouvau régime et mourut en 1925.

Schreker est considéré aujourd'hui comme un avant-gardiste, sa musique emblématique de l'Art Nouveau préfigurant celle du Hollywood des années 1950.

(c) Stofleth

(c) Stofleth

Avec Salomé et Elektra de Strauss, les crimes en famille avaient fait une entrée tonitruante à l’opéra. Leur musique comme leur contenu psychologique marquèrent les compositeurs des années 1900-1930, Korngold, Zemlinsky, Ullmann et Frank Schreker dont le livret pour Irrelohe a pour scène fondatrice un viol dont les conséquences seront lourdes sur la génération suivante.

Au château d’Irrelohe, le comte Heinrich rumine  une malédiction familiale. Amoureux de la pure Eva, il craint de céder à la folie meurtrière s’il accomplit l’acte de chair. Son père a en effet violé jadis la fiancée d'un homme, Christobald.

La passion névrotique d’Heinrich suscite  la jalousie ravageuse de son demi-frère Peter, le prétendant d’Eva, ainsi que l’hostilité de Christobald, mémoire vivante des crimes oubliés. Celui-ci, à l'aide de trois musiciens, va vouloir se venger par le feu.

La tragédie est inexorable...

La mise en scène de David Bösch, spécialiste des compositeurs allemands de l'époque porte au plus haut cette tragédie, dont la partition résonne avec force sous la baguette de Bernhard Kontarsky.

(c) Stofleth

(c) Stofleth

Le spectacle n'est pas pour les petites natures : outre l'histoire terrible, la musique est souvent tempétueuse, grondant de timbales, de cuivres et de cordes déchaînées. Quand elle se fait plus légère, c'est pour laisser s'exprimer les voix en théâtre chanté.

On est physiquement saisi, pétrifié dans l'attente du dénouement tandis que scène après scène les personnages souffrent dans l'angoisse et les contradictions.

L'ouverture est jouée dans l'obscurité, tandis que sur le rideau fermé se projette un générique. Les images en noir et blanc, à l'atmosphère expressionniste, donnent un avant-goût du style qui suit. On retrouve des projections au cours des transitions, montrant les chanteurs mis en scène pour évoquer leurs pensées.

Pour une fois, j'ai trouvé le procédé pertinent d'autant que les décors ont une place prépondérante sur scène. Sa grande profondeur permet d'y mettre tantôt une auberge, tantôt une forêt tandis qu'au loin le château surplombe le tout, frappé de malédiction.

(c) Stofleth

(c) Stofleth

En autre référence au cinéma, j'ai cru voir dans les costumes contemporains de Moana Stemberger une référence aux droogs d'Orange Mécanique dans ceux des trois comparses pyromanes, incarnés avec truculence par Peter Kirk, Romanas Kudriašovas et Barnaby Rea. Quant au domestique Anselme, interprété par Antoine Saint Espès, il a tout de Riff-Raff dans The Rocky Horror Picture Show.

(c) Stofleth

(c) Stofleth

Il faut une sacrée force d'expression aux artistes pour faire passer tous les sentiments par-delà le mur de son de l'orchestre. 

La soprano  Ambur Braid est éblouissante par la puissante rondeur de son timbre, la clarté de son chant et l'expressivité de son jeu.  Le rôle d'Eva se taille, il est vrai, la part du lion.  Face à elle, Julian Orlishausen est un Peter habité, dont le baryton nuancé rend aussi bien la gaucherie initiale que la folie meurtrière croissante que suscite en lui cette femme aux sentiments ambigus.

Au comte Heinrich, effrayé de la malédiction mais décidé à la vaincre, le ténor Tobias Hächler donne une voix claire en contraste avec le décor de son intérieur, une serre en déliquescence. 

La vieille Lola de la mezzo-soprano Lioba Braun, manque un peu de puissance mais le timbre rend bien la fragilité teintée de folie du personnage.  

Les Chœurs de l'Opéra de Lyon, toujours homogènes et puissants, brillent autant dans les passages profanes que dans celui, sacré, au moment des noces. 

C'est le feu qui, dans les textes, évoque le destin : feu du désir, feu du danger, feu de la vengeane, feu de purification.

Les flammes de l'incendie final sont époustouflantes, à la mesure de cette oeuvre brûlante qui a conquis le public.

(c) Stofleth

(c) Stofleth

Du 19 mars au 2 avril 2022 à l'Opéra de Lyon.

Irrelohe - Opéra, 1924  - Durée 2 h 40 dont entracte - En allemand sur-titré en français.

Direction musicale Bernhard Kontarsky - Chef des chœurs - Benedict Kearns
Mise en scène David Bösch - Dramaturgie Janine Ortiz
Décors et vidéo Falko Herold - Lumières Michael Bauer - Costumes Moana Stemberger

Avec :
Le Comte Heinrich (ténor) Tobias Hächler
Le Forestier (basse) Piotr Micinski
Eva (soprano) Ambur Braid
La Vieille Lola (mezzo-soprano) Lioba Braun
Peter, fils de Lola (baryton) Julian Orlishausen
Christobald (ténor) Michaël Gniffke
Fünkchen, un musicien (ténor) Peter Kirk - Strahlbusch, un musicien (ténor) Romanas Kudriašovas - Ratzekahl, un musicien (basse) Barnaby Rea - Le Prêtre Kwang Soun Kim Le Meunier Paul-Henry Vila - Anselme Antoine Saint-Espes - Un laquais Didier roussel

Orchestre et Chœurs de l'Opéra de Lyon

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