L’argument de Manon (« tout court », comme l’a souhaité Jules Massenet) est emprunté au roman de l’abbé Prévost de 1731, L’Histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, qui fit scandale en son temps.
Montesquieu expliquait ainsi son succès : « Je ne suis pas étonné que ce roman, dont le héros est un fripon et l'héroïne une catin [...] plaise, parce que toutes les actions du héros, le chevalier des Grieux, ont pour motif l'amour, qui est toujours un motif noble, quoique la conduite soit basse ».
Pour moi, l'histoire est un épouvantable mélo que Puccini a noyé dans les sanglots et j'étais curieuse de voir ce qu'en avait fait, avant lui, Massenet. Celui-ci n'a retenu qu’une petite partie de la matière littéraire. Manon qui, dans l’original, n’existe qu’à travers le discours du Chevalier des Grieux, est ici le personnage principal :
A l'acte I, sur la route du couvent, la jeune Manon retrouve son cousin noceur Lescaut dans une auberge où elle est vite courtisée par le vieux Guillot de Morfontaine, pourtant accompagné de ses maîtresses Poussette, Javotte et Rosette. Arrive le jeune chevalier des Grieux qui tombe aussitôt amoureux de Manon. Elle le pousse à voler le carrosse de Morfontaine pour aller vivre à Paris.
A l'acte II, le père du chevalier fait enlever son fils pour éviter une mésalliance. Le financier Brétigny s'empresse alors de consoler Manon en lui faisant miroiter une vie de luxe. Elle n'a que 16 ans, fascinée par les bijoux et les toilettes, elle devient vite sa maîtresse pour briller dans les fêtes.
A l'acte III, Morfontaine tente de la reprendre en faisant venir à la fête de Cours-la-Reine le ballet de l'opéra que Brétigny lui a refusé, mais apprenant que des Grieux entre dans les ordres, Manon laisse tout pour le rejoindre à Saint-Sulpice et lui faire abandonner son projet. Morfontaine est humilié.
A l'acte IV, amoureux mais ruiné par Manon, le chevalier se laisse persuader par elle de jouer dans le tripot que fréquente le cousin Lescaut. Morfontaine trouve là le moyen de sa vengeance : il l’accuse de tricher ; la police envoie le chevalier en prison et Manon, en fille perdue, est condamnée à la déportation.
A l'acte V, libéré sur l’intervention de son père, des Grieux essaie en vain de libérer Manon du convoi, et elle meurt dans ses bras après une ultime coquetterie et lui avoir redit son amour.
Cette version était en récital à l'Auditorium de Lyon mais même sans costumes ni décor, on pouvait apprécier l'histoire.
Sous la baguette d'un Rustioni, toujours bondissant, l'orchestre comme le choeur ont donné une belle interprétation d'une oeuvre très diverse, voire érudite. Malgré la puissance symphonique, le chef attentionné a pris soin de ménager les moments chantés.
L'ouverture est joyeuse et bien enlevée, avec quelques mesures plus mélancoliques laissant présager le drame.
Toute la suite, symphonique, est très prenante avec tous les registres sonores, des timbales au triangle, en passant par les clochettes, la harpe, les cordes, les bois, les cuivres et même les grandes orgues.
Ce fut l'occasion de découvrir celles que l'Auditorium cache derrière le fond de scène...
Si l'oeuvre est dans le style de l’opéra-comique, mêlant passages parlés et passages chantés virtuoses, le récit est soutenu par une dense atmosphère : cris de Paris, accents baroques et musique de menuet pour la fête, musique religieuse à Saint-Sulpice...
Les rôles exigent une parfaite diction et un talent de comédien pour rendre justice au texte. Sur ce point, Saimir Pirgu n'était pas à son aise, pas plus que dans les notes basses du rôle mais il s'est révélé au 3e acte, avec le registre dramatique, haut et fort, dans le duo du chevalier avec Manon.
Éric Huchet fut le Morfontaine idéal, vieux beau cabotin à souhait dans les parties parlées et voix solide dans le chant. Philippe Estèphe en Brétigny, en a fait autant face à son rival. Le rôle des trois maîtresses est limité mais les chanteuses très expressives leur a donné une bonne présence.
Vannina Santoni s'est taillé la part du lion en Manon, avec toute les nuances que demande le rôle : légère et enjouée au premier acte, tendre au second, vibrante et superbe au Cours-la-Reine, voluptueuse et passionnée à Saint-Sulpice, douloureuse pour le dernier voyage... Même dans les très hautes notes, sa voix gardait une rondeur plaisante.
Sa performance a été d'autant plus admirable qu'elle arborait une sérieuse grossesse dont le/la locataire, en première loge, devait empiéter sur les poumons !
Manon - Opéra en cinq actes de Jules Massenet, donné en version concert
Livret de Henri Meilhac et Philippe Gille d’après l’Abbé Prévost
Direction musicale Daniele Rustioni Chef du choeur Karine Locatelli
Manon (soprano) Vannina Santoni
Le Chevalier des Grieux (ténor) Saimir Pirgu
Lescaut, cousin de Manon (baryton) Artur Ruciński
Guillot de Morfontaine (ténor) Éric Huchet
Monsieur de Brétigny (baryton) Philippe Estèphe
Le Comte des Grieux (baryton-basse) Nicolas Testé
Poussette (soprano)Margot Genet
Javotte (mezzo-soprano) Amandine Ammirati
Rosette (mezzo-soprano) Clémence Poussin
Orchestre et chœur de l’Opéra de Lyon
Coproduction Théâtre des Champs-Élysées
Coréalisation Auditorium-Orchestre national de Lyon