Mon premier amour fut le "Jeune homme nu assis au bord de la mer" d'Hippolyte Flandrin. J'avais 9 ans quand j'ai acheté la carte postale qui m'a servie de marque-page durant des années.
J'ignorais qu'Hippolyte était d'une fratrie d'artistes et je n'avais vu que très peu d'autres oeuvres. Grâce à l'exposition temporaire organisée par le Musée des Beaux-Arts de Lyon, j'ai pu aller à leur découverte.
Auguste (1804-1842), Hippolyte (1809-1864) et Paul (1811-1902) Flandrin furent des artistes importants de la scène lyonnaise au 19e siècle, même si l'aîné connut une fin prématurée.
Formés dans l'atelier de Jean-Auguste-Dominique Ingres, leurs travaux sont de facture extrêmement classique et académique, même si parfois en surgit une sensualité troublante.
Je dois avouer que j'ai visité le coeur battant, espérant voir enfin, pour de vrai, mon beau Jeune Homme...
Au 19e siècle, dans l’organisation de l’École des Beaux-arts, la représentation du corps humain est considérée comme la pierre angulaire de toute formation artistique. Ainsi, le règlement du prix de Rome prévoit qu’une fois par an, les lauréats fassent parvenir à Paris un tableau d’une figure nue.
Dans la réalisation de ses envois, Hippolyte se met à l’épreuve dans différents registres du nu masculin, dans lesquels la référence à l’antique est combinée avec les libertés anatomiques héritées d’Ingres (pensez à la Grande odalisque et l'ajout des quelques vertèbres qui ont sublimé son dos...).
L'étude d'après modèle vivant est à la base de l'enseignement académique qui accorde une importance primordale à la juste représentation du corps humain.
Les poses suivent un répertoire établi et l'exercice est une étape obligatoire de tous les concours, en particulier celui de l'Ecole des Beaux-Arts.
Le voyage en Italie est un moment crucial dans le développement artistique et humain des frères Flandrin. Hippolyte arrive à Rome en 1833, rejoint un an plus tard par Paul et bien plus tard par Auguste.
Le tableau suivant constitue le premier envoi d'Hippolyte depuis Rome. Il témoigne de l'influence de l'antique et de l'enseignement d'Ingres en termes de déformations anatomiques.
Polytès est le jeune fils de Priam, roi de Troie. Dans l'Iliade, il est le premier à repérer les navire des Grecs débarquant dans la plaine. Fidèle au texte d'Homère, Hippolyte le représente chaussé des sandales, le regard fixé sur l'horizon. Le paysage rappelle la campagne romaine dont le peintre a fait des aquarelles.
Et soudain, il est là, mon beau Jeune Homme dont la rondeur me plaît tant !
Le cartel explique que cette œuvre, la plus célèbre d'Hippolyte, doit en partie son succès à son extrême stylisation.
La construction géométrique simple, fondée sur la combinaison d'un cercle et d'un triangle équilatéral, crée une composition d'un parfait équilibre formel, animé par des éléments d'un intense réalisme, comme les mains croisées au modelé naturaliste.
L'influence de ce tableau est évoquée dans des travaux ultérieurs donc j'ai retenu les deux exemples suivants :
La campagne romaine, les vues sur la Ville éternelle, les jardins des villas, les côtes de la région de Naples, les cités et les douces collines de Toscane et d’Ombrie : tous ces paysages deviennent des sujets parcourus et aimés.
L’exposition révèle une réelle passion des trois frères pour l’aquarelle, technique fugace et complexe, pratiquée avec une maîtrise surprenante.
Le tableau suivant m'a surprise autant qu'enchantée : la lumière sur la maison m'a fait penser irrésistiblement à l'emploi qu'en faisait d'Edward Hopper.
Les études de femmes sont rares dans l’œuvre des Flandrin et leur fascination particulière, qui mêle charge sensuelle et maîtrise formelle, fait regretter qu’elles ne soient pas plus nombreuses.
Celle qui suit est d'une modernité surprenante.
À l’été 1838, les frères Flandrin sont de retour en France.
La hiérarchie académique place en premier lieu la représentation d’épisodes empruntés à l’Antiquité ou à la Bible. Se distinguer par la réalisation de tels tableaux demeure une étape nécessaire pour lancer une carrière. Cependant, ces œuvres présentent un risque financier. Par leurs formats imposants et leurs sujets sérieux, elles sont peu adaptées au goût et aux intérieurs des collectionneurs, ne trouvant place que dans les musées.
Un achat par l’administration est ainsi la seule issue. Les Flandrin ne pratiqueront donc que peu les tableaux d’histoire, afin notamment, pour Hippolyte, de répondre aux obligations imposées par le règlement de la pension à la villa Médicis.
Paul est le seul à élire le paysage comme sa spécialité exclusive.
Le musée doit encore résonner de mon fou-rire devant ce tableau ahurissant.
Le procédé de cache-sexe donne surtout l'impression que Jonas agite son appendice pour créer la vague !
Jonas rendu au jour par le monstre marin, esquisse pour l'église Saint-Germain-des-Prés de Paris - Hippolyte Flandrin, 1860
Le portrait constitue un axe important du travail de chacun des trois frères Flandrin.
Tous vont connaître le succès dans ce domaine et être sollicités par de nombreuses commandes de la part d’une bourgeoisie florissante.
L'exposition fait également écho à l’actualité de la restauration des décors d’Hippolyte Flandrin à l’église Saint-Germain-des-Prés, à Paris. Ce chantier d’ampleur, conduit entre 2016 et 2020 par la Ville de Paris, a permis de retrouver des couleurs éclatantes et de redonner toute sa place à cette réalisation majeure de l’art du 19e siècle. Le dispositif immersif réalisé par la société Iconem en restitue tous les détails, dans les espaces-mêmes de l’exposition.
Décor de l'église par Hippolyte Flandrin et Sébastien Cornu
ExposItion jusqu'au 5 septembre 2021
Commissaires : Elena Marchetti, conservatrice, Fondazione Musei Civici, Venise et Stéphane Paccoud, conservateur en chef, chargé des collections de peintures et de sculptures du 19e siècle, Musée des Beaux-Arts de Lyon.
Conçue par le musée des Beaux-Arts de Lyon/Ville de Lyon, cette exposition est reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture. Elle bénéficie à ce titre d’un soutien financier exceptionnel de l’État. Elle a été organisée avec le soutien de FRench American Museum Exchange (FRAME), réseau dont le musée des Beaux-Arts de Lyon est membre, ainsi qu’en partenariat avec la Ville de Paris.
Ouverture des expositions et présentations : - Hippolyte, Paul, Auguste. Les Flandrin, artistes et frères - Par le feu, la couleur. Céramiques contemporaines - L'Odyssée moderne de Louis Bouque...