Il n'aura jamais vu jouer son dernier opéra, victime de la censure de Nicolas II. Il faut dire que Rimski-Korsakov n'y est pas allé avec le dos de la cuillère en adaptant Le Coq d'or de Pouchkine. Si on y rit beaucoup, la charge est féroce.
Son roi Dodon, un paresseux décati et sans vergogne, se laisse berner par un magicien complice d'une femme fatale venue d'orient : à l'ère de Raspoutine et de la guerre russo-japonaise, c'était un choix risqué.
Dans cet hybride de satire politique et de conte de fée, Barrie Kosky souligne l'érotisme de la mystérieuse princesse, tout en truffant la mise en scène de moments burlesques.
Les lumières sculptent le décor fixe peuplé d'étranges figures à tête de cheval évoquant batailles et pièces d'échiquier.
En prologue, un astrologue-magicien annonce que c'est un conte qui suivra. Il est joué par Andrei Popov dont la voix perchée (écrite pour un haute-contre) ajoute à l'étrangeté du personnage qu'il joue avec beaucoup d'allant. On l'entendra peu par la suite mais on le verra passer en mime cocasse entre les actes.
Le magicien offre au roi un coq d'or qui prévient des invasions ennemies. Incarné par Wilfried Gonnon, il doit sa voix à Maria Nazarova qui chante en coulisses d'un soprano si lumineux qu'on regrette de ne pas l'entendre dans un rôle plus conséquent.
Dodon, enchanté, promet au magicien la récompense qu'il voudra puis désigne ses fils et le général Polkan pour aller combattre les ennemis du pays tandis qu'il retourne se coucher.
Dmitry Ulyanov est monumental dans le rôle du roi grotesque. Sa voix de basse, puissante et nuancée, est portée par un véritable talent de comédien, expressif par le visage autant que par le corps. De grands éclats de rire ont salué son interprétation du pleutre glouton.
Tout au long de l'oeuvre, la musique est un ravissement, avec l'utilisation originale des danses folkloriques. Harpes, tympanon, flûte et piccolo agrémentent gaiement l'orchestration.
Le chef d'orchestre Daniele Rustioni amène tous les pupitres à un ensemble fort et raffiné, dans le plus grand respect des artistes lyriques. La tragédie et la séduction sont rendues avec autant de nuances.
Au second acte, le roi découvre son armée vaincue et ses fils entre-tués. Il veut les venger mais ce qu’il prend pour le campement de son ennemi est la tente de villégiature de la reine Chemakha.
Elle apparaît dans la splendeur d'un costume scintillant, séduisant Dodon par son chant envoûtant. Il se trémousse, s'essaie à des couplets pathétiques et, devant sa propre armée, se ridiculise. Dmitry Ulyanov nous offre là une scène d'anthologie.
Les quatre danseurs de la reine qui entourent le malheureux sont absolument hilarants dans leurs pagnes en strass, et leur talent rajoute à la gaucherie du roi.
Fasciné, Dodon offre son royaume à Chemakha si elle consent à l’épouser.
La soprano arménienne Nina Minasyan s'empare brillammenet de sa partition difficile, avec un jeu de coquette digne de l'ensorcelante Chemakha.
Sa voix riche s'exprime aisément dans toute l'étendue de son rôle : le medium est rond, les colorature d'une grande pureté et les vocalises orientalistes délicieusement nuancées.
Elle porte avec une séduction extraordinaire un texte érotique qui ne le cède en rien au Cantique des cantiques :
"Mes cheveux de tendre moire
Jaillissent, cascade noire,
Sur le marbre de mes reins..."
"Je m'asperge de rosée
Quelques gouttes embrasées
Glissent suivant le dessin
De ma gorge... Et dieux ! Quels seins!"
Mais quand elle s'empare de l'âme de Dodon, son rire résonne avec une cruauté glaçante. Ce duo terrible aurait pu servir de modèle à l'Ange bleu et son professeur Unrat.
Au troisième acte, le cortège des guerriers de Dodon mêlé à la suite bigarrée de Chemakha fait son entrée en ville ; on annonce le mariage.
Ici, encore, la qualité expressive des choeurs s'exprime comme tout au long de l'oeuvre, dans le chant comme dans les déplacements.
L'astrologue apparaît alors pour réclamer son dû et choisit alors la main de Chemakha, initiant une suite d'événements tragiques....
Néanmoins grâce à un procédé très drôle, c'est sur un rire que se clôt l'épilogue.
Jusqu'au 4 juin 2021 à l'Opéra de Lyon puis au les 22, 24 et 25 juillet au Festival d'Aix-en-Provence
Le Coq d’or - Opéra en trois actes, 1909 - En russe sur-titré - 2 h15 environ
Musique de Nikolaï Rimski-Korsakov et livret de Vladimir I. Bielski, d’après le conte d’Alexandre Pouchkine
Direction musicale : Daniele Rustioni - Mise en scène : Barrie Kosky
Dramaturgie : Olaf A. Schmitt - Chorégraphie : Otto Pichler
Décors : Rufus Didwiszus - Costumes : Victoria Behr - Lumières : Franck Evin
Avec :
Le roi Dodon (basse) : Dmitry Ulyanov
L'astrologue (ténor) : Andrey Popov
La reine Chemakha (soprano) : Nina Minasyan
Le tsarévitch Aphron (baryton) : Andrey Zhilikhovsky
Le tsarévitch Guidon (ténor) : Vasily Efimov
Polkan (basse) : Mischa Schelomianski
Amelfa (alto) : Margarita Nekrasova
La voix du Coq d'or (soprano) : Maria Nazarova - Le coq d'or : Wilfried Gonon
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