Le grand-opéra est un genre d'opéra du XIXe siècle, généralement en quatre ou cinq actes, caractérisé par une distribution et un orchestre de grande envergure, de prodigieux décors et effets de scène, fondé sur une intrigue tirée d'un événement historique dramatique.
Pour l'anecdote, l'une des caractéristiques du grand opéra est un ballet placé au début du troisième acte. Cette exigence n'était pas vouée à l'esthétique mais à la satisfaction des riches mécènes, plus intéressés par les danseuses que par l'opéra et qui ne voulaient pas voir dérangées leurs habitudes dînatoires...
Grand-opéra, c'est bien ce qui qualifie l'immense Don Carlos, de Verdi, le dernier de ses quatre opéras espagnols mettant en scène la guerre et le pouvoir religieux. L’Espagne était pour les romantiques la terre de la démesure, de l’honneur et de toutes les passions.
En 1559, Don Carlos, fils de Philippe II d’Espagne, est promis à Elisabeth, fille d’Henri II, afin de mettre fin à la guerre franco-espagnole. Ils s’éprennent l’un de l’autre mais Philippe II, veuf, décide finalement d’épouser lui-même la jeune fille. Elisabeth accepte, au nom de la raison d’état. Entre complot de l’Inquisition et intrigues politiques, le destin tragique des amants et de leurs nations se dessine.
Côté grands sentiments et bondieuseries, Verdi n'y est pas allé avec le dos de la cuillère mais la musique est si belle et l'histoire si complexe qu'on avale le tout comme un feuilleton.
Christophe Honoré n'en a pas laissé une miette, mettant en scène l'intégrale de la version française, en cinq actes, avec la scène de ballet rajoutée par Verdi en 1867.
Il a évité le recours aux projections vidéo pour revenir à la quintessence de l'univers théâtral. Sa réussite s'appuie sur le sombre décor d'Alban Ho Van dans lequel se déplacent beaucoup les chanteurs, avec naturel.
Dans un noir écrin, jeux de tentures et de lumières, structures mobiles à niveaux, rampe de feu, trappe dans le sol... tout est mis en oeuvre pour sublimer un drame à la fois politique et familial qui réunit des thèmes forts comme le pouvoir autocratique ou religieux, la liberté des peuples, l'amour, la trahision et l'amitié.
La partition est riche de choeurs et de duos émouvants, sur une musique très expressive emportée par la baguette Daniele Rustoni.
Au début du premier acte, le Don Carlos de Sergey Romanovsky pèche un peu dans le haut de sa tessiture mais à mesure du drame, il communique avec finesse l'émotion d'un homme qui ne rêvait que d'amour.
Sally Matthews, très expressive, incarne Elisabeth dans toute sa tristesse et sa dignité, avec des moments de tendresse très émouvants.
Un pur enchantement vient d'Eve-Maude Hubeaux qui dès son entrée s'affirme en princesse Eboli, séductrice et puissante. Dans la Chanson du voile et encore plus dans Don fatal, elle déploie une énergie et une virtuosité extraordinaires. L'avoir placée en chaise roulante est une étrange idée mais le procédé rajoute finalement à sa présence car elle en tire le meilleur parti, tentant de s'en extraire, ou s'en laissant tomber.
De la tyrannie à la plus abjecte soumission, Michele Pertusi incarne un remarquable Philippe II avec une basse profonde et un jeu d'acteur saisissant dans la scène du coffret. Face à lui, Roberto Scandiuzzi s'impose dans toute la noirceur du Grand Inquisiteur.
Clair et souple, avec un phrasé élégant, le baryton de Stéphane Degout est à la hauteur de son jeu d'acteur, que ce soit dans les serments de fraternité à Don Carlos ou dans l'affrontement avec Philippe II.
Le seul bémol est la scène de ballet. Les mécènes d'autrefois y chercheraient en vain la grâce de ballerines... La chorégraphie d'Ashley Wright, nous a d'abord servi une danse en ligne, avec claquements de mains, qui n'avait aucun lien avec la musique, suivie de quatre captifs jetés tels des gladiateurs dans un bassin pour se contorsionner en postures grotesques vaguement lubriques. Au diable le conceptuel, sans goût ni grâce, c'était tout simplement superflu.
Heureusement, on retiendra surtout la parfaite harmonie de la musique et des chanteurs dans une oeuvre exigeante que l'Opéra de Lyon nous a permis de découvrir dans le cadre de son Festival Verdi.
Jusqu'au 6 avril 2018 à l'Opéra de Lyon
Don Carlos - Version parisienne en cinq actes, 1867
Compositeur Giuseppe Verdi
Livret Joseph Méry et Camille du Locle, d’après Friedrich von Schiller
En français – Durée 4 h 10 + 35 mn d'entracte
Mise en scène Christophe Honoré
Décors Alban Ho Van Costumes Pascaline Chavanne Lumières Dominique Bruguière
Chorégraphie Ashley Wright
Direction musicale Daniele Rustioni
Philippe II Michele Pertusi, basse Don Carlos Sergey Romanovsky, ténor
Elisabeth de Valois Sally Matthews, soprano Rodrigue, marquis de Posa Stéphane Degout, baryton
Le Grand Inquisiteur Roberto Scandiuzzi, basse Un moine Patrick Bolleire, basse
La Princesse Eboli Eve-Maud Hubeaux, mezzo soprano Thibault, page Jeanne Mendoche, soprano
Voix d’en haut Caroline Jestadet
Orchestre, Chœurs et Studio de l’Opéra de Lyon