Pauvre Salieri ! Comment cet homme brillant est-il passé dans la légende comme l’assassin de Mozart ? Né en Italie, devenu compositeur de la cour d’Autriche, acclamé dans toute l’Europe, il fut ami de Gluck et de Haydn et de nombreux musiciens de son temps. Il eut comme élèves Beethoven, Schubert, Liszt et même Franz Xaver, le dernier fils de Mozart.
La légende d’une jalousie criminelle, reprise par Alexandre Pouchkine, serait fondée sur les Cahiers de conversation avec Beethoven, dans lesquels Schindler évoquait une confession de Salieri, déjà sénile, s’accusant du meurtre de Mozart.
Certes, le conventionnel Salieri aurait pu jalouser l’aisance naturelle de Mozart, mais l’hypothèse est désormais abandonnée. Un musicien si puissant à Vienne ne pouvait être jaloux de Mozart qui, à l’époque, obtenait des succès moindres. En outre, de nombreuses preuves attestent des bonnes relations entre les compositeurs : l’opéra Cosi fan tutte fut commandé à Mozart sur la recommandation de Salieri et on a découvert en 2015 la cantate Per la ricuperata salute di Ofelia co-signée par Mozart et Salieri.
D’ailleurs, la veuve de Mozart aurait-elle confié l’éducation musicale de son fils à l'assassin du père ?
De manière bien plus prosaïque, Mozart serait tout simplement mort d'une infection rénale...
Pour souligner la rivalité artistique des personnages, Rimski-Korsakov a créé des compositions mélodiques différenciant nettement la basse d'un Salieri, austère, du ténor d'un Mozart plein de vie, introduisant même pour ce dernier, des extraits de son oeuvre.
L'acte de Salieri est à peine compréhensible : éperdu d'admiration, il empoisonne pourtant Mozart, justifiant son geste par la nécessité de l'empêcher d'atteindre à une perfection qui étoufferait toute velléité de création chez d'autres compositeurs.
Le superbe décor vidéo projeté sur tulle, en noir et blanc, souligne la dichotomie des personnages et donne au récit une atmosphère fantômatique qui annonce la tragédie.
Pour la mise en scène, Jean Lacornerie a voulu faire un parallèle entre cette jalousie et celle de Pouchkine envers D’Anthès, trop proche de son épouse, qui lui coûtera la vie dans un duel. Il a rapproché la tragédie de Rimski-Korsakov de l’Onéguine de Tchaïkovski focalisant le spectacle sur la figure du duel artistique et de l’assassinat d’un génie.
Pour passer d’une partition à l’autre, Pierre Bleuse a rajouté quelques extraits d’opéras de Tchaïkovski et Rimski-Korsakov
Le final pâtit de la démonstration car, encore sous le choc de l'acte de Salieri, on se retrouve à lire les règles du duel au pistolet projetées sur le rideau, suivies du duel même de Pouchkine et D'Anthès, le tout parfaitement superflu au regard du livret.
Il n'en reste pas moins que Pawel Kolodziej a campé avec une belle gravité ce Salieri amer, qui se voit comme un artisan laborieux, honteux d'envier celui qu'il qualifie de tantôt de libertin oisif tantôt de dieu.
Valentyn Dytiuk a donné une rondeur pleine de charme à Mozart, avec le peu de vers qui lui reviennent dans le livret, heureusement l'ajout d'une introduction poétique aux accents slaves nous a permis de l'entendre davantage.
Mozart et Salieri, scènes dramatiques, 1898.
Livret et musique Nikolaï Rimski-Korsakov d’après Alexandre Pouchkine.
Direction musicale Pierre Bleuse - Mise en espace Jean Lacornerie
Décors et costumes : Bruno de Lavenère
Lumières : David Debrinay - Vidéo : Étienne Guiol
Mozart : Valentyn Dytiuk - Salieri : Pawel Kolodziej
Orchestre, Choeurs et Studio de l’Opéra de Lyon
Recréation de la production de 2010 de l’Opéra de Lyon
En russe - Durée : 1 h environ