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Baronne Samedi

Broutilles paraissant le crésudi

Meguri - Sankai Juku

Publié le 18 Janvier 2017 par Baronne Samedi in Art et spectacles, Danse

Sankai Juku, dirigée par Ushio Amagatsu, est certainement l’une des plus célèbres compagnies de danse butô dont Tatsumi Hijikata et Kazuo Ohno étaient  les pères fondateurs.

Le chorégraphe a suivi une formation en danse classique et moderne à Tokyo, approchant aussi  les danses traditionnelles japonaises. En 1975, il entama une série de longs stages sur plusieurs mois pour former sa propre compagnie. Des trente garçons et filles du début il ne resta que trois hommes. Sankai Juku serait  donc masculin...

Ma première rencontre avec la troupe fut Des oeufs debout par curiosité. Cette étrange gestuelle était si lente que j'ai pensé quitter la salle dans les minutes suivant l'ouverture. Deux heures plus tard, j'étais assise sur un banc public, à la fois bouleversée et réconfortée.

Ce moment de grâce, je ne l'ai jamais oublié.

L'allure de la compagnie est d'abord surprenante : les danseurs sont lisses, poudrés de blanc, et drapés d'étoffes à peine colorées.

Leur blancheur leur confère une apparence de statue, le visage tel un masque. Il n'y a pas d'ego : ce sont plusieurs entités qui se complètent en une seule.

Meguri - Sankai Juku

Pour Meguri, créé au quarantième anniversaire de la compagnie, Ushio Amagatsu déroule en sept tableaux l'univers annoncé dans le sous-titre Exubérance marine, tranquillité terrestre.  Le titre fait référence à une rotation, un cycle, une évolution, comme celui des changements de saison.

Pour le mur de fond qui bouge parfois de manière à peine perceptible, Amagatsu a choisi un décor d'animaux-plantes fossiles, tels des coraux du paléozoïque.

Des touches de lumière colorées le ponctuent, se reflétant aussi dans l'eau d'une vasque  de verre en suspension qui monte ou descend lentement au gré des tableux. 

Le sol est poudreux pour évoquer la terre, la lumière est bleue pour l'eau, puis rouge pour  le feu.  Ce sont les danseurs eux-mêmes évoquent l'air : « J’ai osé mettre plus de mouvements. Comme si une force extérieure animait les interprètes ».

La gestuelle rappelle souvent l'oxymore qu'est la tension fluide du tai-chi. Déployés lentement, les bras transmettent le mouvement jusqu'aux doigts qui s'animent et se rassemblent comme les danseurs eux-mêmes.

Meguri - Sankai Juku

La musique qui accompagne les tableaux est une suite électronique essentiellement basse, relevée de motifs de cordes ou de flûtes. Essentiellement calme et fluide, elle accompagne une similitude de gestes qui, si elle souligne la communion des danseurs, n'engendre aucune monotonie.

Cette danse lente demande une grande concentration, avec de la puissance et du souffle. Les mouvements sont décomposés de façon très fluide, ponctués parfois de sauts, sans grandes enjambées. 

(c) Sankai Juku

(c) Sankai Juku

Dans « Voix du lointain », un homme seul nous captive avec des gestes d'une lenteur  fascinante, tel une statue qui soudain s'anime, appuyée sur l'air. Les postures sont hiératiques et pourtant émouvantes.

Ils sont quatre pour « Métamorphoses au fond des mers » : en équilibre sur le dos, ils forment un cercle en rejoignant leurs têtes et, membres levés, ils font penser à des bébés avant de devenir peu à peu une anémone ondoyante.

Dans « Deux surfaces », trois danseurs, chacun sur un bord d'une piscine créée par la lumière bleue font vivre une illusion impressionnante quand ils paraissent y plonger la main ou marcher sur l'eau. 

(c) Sankai Juku

(c) Sankai Juku

Puis la lumière devient rouge et ocre,  et quatre danseurs sont pris dans une clarté féroce, la bouche ouverte comme dans un cri, tels des marcheurs titubant dans la fournaise d'un désert de sable, secoués de spasmes. La douleur est loin de ce qu'on aurait pu attendre du titre «Présage Quiétude Vibration »

Le mouvement se transmet dans des sons de jungle et une teinte verte pour  « Forêt de fossiles », avec ses trois danseurs aux gestes saccadés.

Par contraste, « Trame » arrive dans un silence assourdissant.  Ushio Amagatsu nous offre un solo déconcertant,  simple mais très expressif, comme s'il accordait  le droit de faire tomber le masque.

Pour finir, le septième tableau « Retour » est une sorte de synthèse  tout ce qui a précédé. 

Ce spectacle est une expérience forte qui nous plonge dans un monde chorégraphique radicalement différent de nos attentes : il ne s'agit pas de défier la gravité en s'en détachant par bonds et pirouettes, mais au contraire de l'utiliser pour être un lien ancré dans la terre qui s'étire vers le ciel.

La lenteur elle-même est à l'encontre de la frénésie qui s'empare de notre temps occidental. Une fois passée la perplexité, on se retrouve littéralement bercé par le mouvement...

(c) Sankai Juku

(c) Sankai Juku

Jusqu'au 21 janvier 2017 à la Maison de la Danse de Lyon

Chorégraphie, conception, direction Ushio Amagatsu - Création en 2015 -  1 h 20
Musique Takashi Kako, Vas-Kaz, Yoichiro Yoshikawa
Scénographie Kazuhiko Nakahara - Lumière Satoru Suzuki
Coproduction Théâtre de la Ville - Paris ; Kitakyushu Performing Arts Center - Fukuoka ;
Esplanade/Theatres on the Bay - Singapour; Sankai Juku - Tokyo.

Danseurs :  Ushio Amagatsu, Semimaru, Toru Iwashita, Sho Takeuchi, Akihito Ichihara, Dai Matsuoka, Norihito Ishii et Shunsuke Momoki.

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