L'opéra de Berlin est d'abord plutôt décevant, dans sa modernité mais il est confortable et l'acoustique est impressionnante.
Au vestiaire, on patiente avec plaisir avec un peu de musique baroque :
En attendant le début du spectacle, c'est un air de valse qui enveloppe les buvettes des trois étages.
Une fois dans la salle, j'ai éprouvé une déception en voyant les chanteurs s'installer comme pour un récital mais très vite, le décor s'est révélé mobile, transformant les rangées de siège en toit d'appartement ou en barrière, grâce à des ascenseurs et des changements à vue.
On ne prend la mesure de la dimension de la scène qu'à mesure que l'action se déroule...
Rigoletto a été écrit d'après la pièce de Le roi s'amuse, de Victor Hugo.
Centré sur le personnage dramatique et original d'un bouffon de cour, l'opéra fit initialement l'objet de la censure de l'empire austro-hongrois. Le roi s'amuse avait subi le même sort en 1832, repris seulement cinquante ans après la première. Ce qui, dans le drame d'Hugo, ne plaisait ni au public ni à la critique, était la description sans détour de la vie dissolue à la cour du roi de France, avec au centre le libertinage de François 1e.
Dans l'opéra, le livret transfère l'action, par compromis, à la cour de Mantoue qui n'existe plus à l'époque, remplaçant le roi de France par le duc, et Triboulet par Rigoletto.
Verdi disait à Antonio Somma, en 1853 : "D'un point de vue purement théâtral, je considère "Rigoletto" comme la meilleure histoire que j'aie jamais mise en musique […]. Elle comporte des scènes vraiment puissantes, du caractère, des émotions et beaucoup de variété."
La première scène se déroule dans une grande salle du palais où le duc de Mantoue donne un bal.
Le parti pris contemporain des costumes est plutôt réussi : les courtisans sont en vêtements de ville avec quelques accessoires pailletés, le duc et ses proches ressemblent à des petites frappes mafieuses et Rigoletto fait une entrée bondissante en lapin doré.
Le duc convoite la comtesse Ceprano et le bouffon, cynique, lui conseille de se débarrasser de l'époux. Peu après, le duc confie au courtisan Borsa qu'il a été également séduit par une jeune fille vue à l'église, dont il ignore qui elle est et réciproquement.
C'est alors que le vieux Monterone fait irruption dans la salle : le duc ayant séduit sa fille, il vient, devant toute la cour, en dénoncer les mœurs. Rigoletto le tourne en dérision tandis que le duc fait arrêter Monterone qui les maudit tous les deux.
La musique est particulièrement dramatique et comme je n'ai pas eu le temps de me documenter avant, je suis littéralement dévorée d'impatience quant à la suite de l'histoire !
Rigoletto rentre chez lui tout en repensant à la malédiction de Monterone. Il est accosté par un tueur à gages, Sparafucile, qui lui dit être à sa disposition. Une fois l’assassin parti, le bouffon s'engage dans un soliloque sur le parallèle entre leurs professions respectives, l'un ayant pour arme sa langue et l'autre vivant de son épée.
Il déplore amèrement sa situation à la cour et dit sa haine pour les courtisans qui le méprisent.
Il est pourtant obligé de garder sa situation car il élève en secret sa fille Gilda qu'il veut la choyer en toute sécurité. Il lui fait promettre de ne sortir que pour la messe afin de ne pas susciter la convoitise.
Mais le duc a fait suivre la jeune fille depuis l'église et lorsque le père s'en va, le duc entre dans l'appartement de Gilda pour lui faire une cour romantique en se prétendant étudiant, avant de repartir pour ne pas se faire prendre.
Pendant ce temps, les courtisans, prenant Gilda pour la maîtresse de Rigoletto, s'apprêtent à l'enlever pour faire enrager le bouffon. Ils font croire à ce dernier qu'ils sont là pour enlever la comtesse Ceprano et lui font tenant l'échelle, le visage masqué.
Aveuglé et assourdi, Rigoletto n'entend pas l'appel de sa fille puis, trouvant le temps long, il rentre à l'appartement pour voir que c'est Gilda qui a été enlevée. Abasourdi, il repense à la malédiction et regrette amèrement son manque de compassion à l'égard de la fille de Monterone.
Le second acte se passe dans le salon du duc, très affecté par la disparition de Gilda. Quand les courtisans lui racontent leur farce, le duc comprend la méprise et va retrouver la jeune fille.
Rigoletto soupçonne que sa fille doit être dans le palais et lorsqu'il entend un page dire qu'il ne faut pas déranger le duc, il implore les courtisans, stupéfaits de découvrir cette parenté, de lui rendre sa fille.
Soudain, Gilda sort en courant de l'appartement du duc. Rigoletto, la voyant en larmes, se retourne furieux contre les courtisans et leur enjoint de sortir.
Restée seule avec son père, Gilda avoue toute l'aventure avec le duc ainsi que l’enlèvement.
Rigoletto essaie de la consoler et lui promet qu’ils vont quitter la cour lorsque passe Monterone qu'on conduit en prison. Ce dernier s'arrête devant le portrait du duc pour déplorer que sa malédiction soit restée sans effet sur le libertin.
Rigoletto décide alors de le venger comme lui-même, malgré la demande contraire de Gilda qui aime le duc malgré tout.
Au troisième acte, pendant une nuit d'orage, Rigoletto emmène Gilda pour épier son amoureux à l'auberge tenue par l'assassin Sparafucile. Horrifiée, elle le voit s'enivrer en séduisant Maddalena.
Rigoletto veut éloigner sa fille : il lui demande de revêtir un costume masculin et de s'enfuir à Vérone.
Il verse ensuite un acompte à Sparafucile, tout en promettant de lui donner le solde quand, à minuit, l'assassin lui aura remis le cadavre du duc pour qu'il le jette lui-même à l'eau.
Maddalena s'est éprise du duc et ne veut pas qu'il meure. Elle supplie Sparafucile de l'épargner mais lui veut son argent.
Au plus fort de l'orage, Gilda travestie en homme n'a pu s'empêcher de revenir pour voir le duc. Elle entend Maddalena demander à son frère d'épargner le bel inconnu. Sparafucile accepte un compromis : à la place, il tuera la première personne qui se présentera à l'auberge avant minuit, pour échanger le cadavre contre ses gages.
À ces mots, Gilda décide de se sacrifier pour celui qu'elle aime toujours malgré son infidélité. Elle frappe à la porte et un terrible coup de tonnerre retentit, couvrant les cris de la malheureuse au moment où l'assassin la frappe.
Rigoletto revient chercher le cadavre du duc. Sparafucile lui remet un sac que Rigoletto traîne vers le bord de l'eau. Il entend soudain la voix du duc chanter au loin La donna è mobile.
Tremblant, il déchire le sac, et, horrifié, y trouve sa fille mourante. Éperdu de douleur, il la prend dans ses bras : tous deux chantent alors des adieux déchirants.
Au moment où elle expire, Rigoletto comprend que la malédiction de Monterone s'est réalisée.
Le temps a passé très vite car l'action est très resserrée, et ce fut un grand moment : absolument tous les chanteurs et l'orchestre étaient extraordinaires dans une partition difficile.
Je me suis rendue compte des grands airs que compte cet opéra, de Caro Nome (qui nous a donné l'inénarrable "Juanita Banana") à La donna è mobile en passant par Scorrendo uniti, sans oublier l'effet "menace" devenu un classique, qu'on entend dans la scène de la tempête, à l'index 3.39 de cet extrait et qui était ici magnifique rendu par le choeur et non l'orchestre
Yosep Kang est un ténor remarquable avec des intonations riches et très séduisantes.
Le baryton Markus Brück a magnifiquement interprété un Rigoletto torturé, frisant la basse sans jamais perdre en clarté.
J'avais peine à croire que la soprano Elena Tsallagova ne soit pas un rossignol. Sa voix qui combine puissance et élégance, assumant les variations les plus complexes avec une aisance stupéfiante.
Le public a visiblement éprouvé le même enthousiasme que moi, applaudissant à tout rompre et criant bravo tout le temps des salutations.
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Orchestre et choeurs de l'Opéra de Berlin
Chef d'orchestre Diego Matheuz Maître de choeur Raymond Hughes
Metteur en scène Jan Bosse Scénographe Stéphane Laimé Costumes Kathrin Plath
Le duc de Mantoue (ténor) Yosep Kang
Le bouffon Rigoletto (baryton) Markus Brück - Sa fille Gilda (soprano) Elena Tsallagova
Le comte de Monterone (baryton) Dong-Hwan Lee
L'assassin Sparafucile (basse) Ievgen Orlov - Sa soeur (mezzo-soprano) Judit Kutasi