Les quartiers pauvres sont des zones d'une guerre insidieuse qui faisait dire à Doughboy, dans Boyz N the Hood : "America don't know, don't show, or don't care about what's going on in the hood /L'Amérique ne sait pas, ne montre pas ou se fout de ce qui se passe dans le coin"
Inspiré par ce film, Kyle Abraham a placé Pavement sur un terrain de basket pour enchaîner les scènes de camaraderie et d'agressions, soulignées d'images projetées sur le panneau.
Six danseurs et une danseuse s'expriment de façon poignante, en puisant dans le vocabulaire du ballet classique et de la danse moderne, voire du théâtre. Loin des stéréotypes, le hip-hop n'affleure que de manière fugace dans les mouvements, et surtout pour apporter des explosions d'énergie.
De Vivaldi à Britten en passant par du blues, Bach ou Sakamoto, aussi hétéroclite que soit la musique, elle sert bien le propos. Et il est puissant, le propos, avec son alternance de grâce extrême et de violence. Sur une bande sonore ponctuée de coups de feu, d'appels de police, de dialogues ou de pleurs d'enfants, les accolades deviennent des corps à corps ; un élan, bras vers le ciel, se brise, les mains en l'air...
Pavement commence avec Kyle Abraham dansant l'insouciance, sur un magnifique blues acoustique. Ce moment de joie est brutalement interrompu quand un homme l'interpelle pour le jeter au sol, mains dans le dos. Cette posture sera récurrente, comme un rappel constant des brutalités policières.
La sensualité des danseurs semble décontractée mais la technique est remarquable, jusqu'aux placements parfaitement synchrones. On ne peut qu'être fasciné par les ports de bras de Vinson Fraley Jr. dont les longues mains ajoutent à l'expressivité.
Un homme court autour de la scène, en foulées tranquilles, rejoint par une femme, puis les autres, tels des citadins en mal d'exercice. Les pas martèlent la scène en un jeu de percussion puis l'espace se resserre et le groupe piétinant évoque soudain les colonnes de bagnards entravés.
Plus tard, des joueurs s'ébattent sur le terrain puis vient l'affrontement et lorsque cesse brutalement le mouvement, un corps est au sol, près duquel un jeune indifférent grignote des chips ; et un autre, à qui on vole les baskets.
Sans cesse, on est emporté par l'élan de la danse puis ramené à un monde froid comme le béton sur lequel s'empilent les corps à la fin, tandis que Donny Hathaway chante :
Never mind your fears/Brighter days will soon be here
Take it from me, someday we'll all be free
Le ballet ne dure qu'une heure mais sa force d'évocation des destins brisés est de celles qui vous hantent longtemps.
Maison de la Danse, Lyon, du 24 au 26 novembre 2015
KYLE ABRAHAM / ABRAHAM.IN.MOTION - Pavement - 2012 - 7 danseurs
Chorégraphie Kyle Abraham en collaboration avec Abraham.In.Motion - Dramaturgie Charlotte Brathwaite - Conseillère artistique Alexandra Wells - Création des costumes Kyle Abraham - Scénographie et création lumière Dan Scully - Son Sam Crawford - Musiques Jean-Sébastien Bach, , Benjamin Britten, Antonio Caldara, Sam Cooke, Philippe Jaroussky, Ryuichi Sakamoto, Antonio Vivaldi, Donny Hathaway etc.
Danseurs Kyle Abraham, Matthew baker, William Briscoe, Vinson Fraley Jr., Tamisha Guy, Thomas House, Jeremy "Jae" Neal.