Parmi les 8 films de Duvivier projetés pendant le Festival Lumière 2015, c’est Un carnet de bal qu’a introduit Anne Le Ny. Avec humour et tendresse, la comédienne et réalisatrice nous a conté les circonstances qui ont fait que depuis l’enfance, elle rêvait de voir la fin de ce film dont à plusieurs reprises elle n’avait vu que le début.
Bien que primé en son temps à la Mostra de Venis, Un carnet de bal n’a pas la force de Pépé le Moko, La Belle Equipe ou La fin du jour. Il n’empêche que c’est ce premier film à sketches français qui a ouvert au réalisateur les portes de Hollywood.
Le fil conducteur est simple. Christine, interprétée par une Marie Bell peu inspirée, vient d’enterrer son riche mari, qu’elle a épousé très jeune. On comprend que durant vingt ans, elle a bénéficié d’une existence confortable mais sans passion ni enfant.
Désemparée, elle se raccroche au souvenir de ses 16 an et décide de retrouver ceux qui la firent danser lors de son premier bal. Le récit qu’elle en fait révèle qu’au fil des ans elle l’a sans doute idéalisé, évoquant des crinolines alors qu’on était déjà en 1919.
Le voyage se révèle un catalogue de désillusions. Christine qui se voyait comme une enfant émerveillée découvre qu’elle a été perçue par certains comme une cruelle coquette et par d’autres comme une de ces belles sans substance.
Parmi les jeunes gens d’autrefois, Georges s’est tué quand elle s’est mariée, laissant une mère inconsolable jusqu’à la folie, incarnée par une poignante Françoise Rosay.
Pierre est devenu avocat, avant d’être rayé du barreau, reconverti en maquereau de luxe et conseiller de la pègre sous le nom de Monsieur Jo. Portées par Louis Jouvet, les répliques ciselées par le dialoguiste Henri Jeanson sont étourdissantes. C’est menotte aux poignets que Jo disparaît de nouveau de la vie de Christine.
On constate vite que la quête est décevante, soit qu’elle donne de faux espoirs soit qu’elle réveille des tristesses oubliées. Harry Baur est un touchant musicien virtuose devenu le Père Dominique ; Pierre Richard-Wilmm, un montagnard qui croit retrouver son grand amour mais s’en détourne pour faire son devoir de sauveteur ; Pierre Blanchar, un médecin déchu qui se prend à rêver en revoyant Christine mais sombre totalement en assassinant sa femme jalouse.
Mais il y a aussi François, à qui Raimu donne toute sa truculence et qui a su trouver le bonheur, puis Fabien, dont Fernandel fait un sémillant coiffeur et heureux père de famille, qui emmène Christine au bal, à l’endroit qui existe toujours. Elle découvre alors que rien de la piste de danse immense, des lustres en cristal ou des rideaux de mousseline n’a existé. C’est tout simplement une gentille salle de danse provinciale.
La boucle serait bien bouclée si, par un curieux caprice, le scenario ne faisait rentrer la voyageuse chez elle pour découvrir dans le voisinage le fils orphelin de l’homme qu’elle aurait le plus aimé. En une ellipse hâtive, la voici soudain marraine du jeune homme pour son premier bal.
La réplique qui clôture le film est bien légère : «Un premier bal c'est important… mais pas plus qu'une première cigarette ». Pourtant, elle n’enlève rien à la tonalité pessimiste de l’oeuvre dont l’amertume est bien dans la veine sombre de Julien Duvivier.
Un carnet de bal
France, 1937, 2h, noir et blanc, format 1.37
Réalisation : Julien Duvivier
Scénario : Julien Duvivier, Henri Jeanson, Yves Mirande, Jean Sarment, Pierre Wolff, Bernard Zimmer
Photo : Philippe Agostini, Michel Kelber, Pierre Levent
Musique : Maurice Jaubert
Montage : André Versein
Décors : Jean Douarinou, Serge Pimenoff, Paul Colin
Production : Jean-Pierre Frogerais, Les Productions Sigma, Les Films Vog
Interprètes : Marie Bell (Christine Surgère, née de Guérande), Françoise Rosay (Madame Audié), Harry Baur (Alain Regnault), Pierre Blanchar (Thierry Raynal), Fernandel (Fabien Coutissol), Louis Jouvet (Pierre Verdier, dit Jo), Raimu (François Patusset), Pierre Richard-Willm (Eric Irvin), Robert Lynen (Jacques), Andrex (Paul), Sylvie (Gaby), Milly Mathis (Cécile), Maurice Bénard (Brémond)
Sortie en France : 9 septembre 1937 ;
Film restauré par Gaumont