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Baronne Samedi

Broutilles paraissant le crésudi

Le Prince - Machiavel/Gutmann

Publié le 8 Octobre 2015 par Baronne Samedi in Art et spectacles, Théâtre

En 1532, Nicolas Machiavel dédiait à Laurent II de Medicis son traité d’éducation politique, avec cette pensée : “Je pense qu’il faut être prince pour bien connaître la nature et le caractère du peuple, et être du peuple pour bien connaître les princes.”

Souvent considéré comme un cynique, il se piquait de donner à la République de Florence une force politique, quand elle ne brillait que par les arts et le commerce. 

Il n’avait cependant aucune illusion quant aux hommes qu'il pensait méchants par nature, déclarant, comme le rappelle Laurent Gutmann, "mon intention étant d’écrire des choses utiles à qui les écoutent, il m’a semblé plus pertinent de suivre la vérité effective des choses que l’idée que l’on s’en fait."

C’est sous cet augure terrible que le metteur en scène a transposé le texte en une session d'apprentissage au pouvoir. 

Le portrait qui surplombe le décor d'une de ces salles de formation stéréotypées n’est d'ailleurs pas celui du pâle dédicataire mais bien celui de César Borgia, souvent cité par Machiavel mais resté célèbre comme un tyran enclin aux crimes politiques.

Crédit photo : Pierre Grosbois

Crédit photo : Pierre Grosbois

D'emblée, le public est requalifié en peuple devant lequel les trois aspirants au pouvoir vont devoir se livrer à un jeu de rôles sans concessions, encadré par deux formateurs et illustré de pauses musicales, sous prétexte d'apprendre à chanter en choeur  le "Tu dormi, io veglio" de Tromboncino.

Pour la première leçon, c'est une galette des rois qui détermine qui portera la couronne car, comme le rappelle Nicolas, incarné par le formateur en manteau Renaissance, c'est parfois le hasard qui désigne celui à qui échoit le pouvoir.

A l'image du texte qui se voulait pragmatique, la session se déroule ensuite sous forme d'exercices au cours desquels  les stagiaires se débattre pour s'emparer du pouvoir et surtout le garder : il faut avoir des finances solides,  former des alliances, mener des guerres, satisfaire le peuple autant que les puissants, n'être influencé ni par les flatteurs ni par les détracteurs, faire des promesses et savoir ne pas les tenir, au point qu'on en arrive à la conclusion qu'il  faut être méchant avec intelligence pour être craint sans être haï.

 

Crédit photo : Pierre Grosbois

Crédit photo : Pierre Grosbois

Devant ce monument de cynisme porté avec brio par une brochette d'acteurs très convaincants, on rit beaucoup sans rien perdre du texte : chaque tentative maladroite pour maîtriser le  pouvoir est interrompue d'un coup de sifflet puis commentée d'une citation de Machiavel, que le Nicolas formateur délivre avec une conviction dérangeante.

Car enfin, ce qui sous-tend tous ces bons conseils politiques c'est bien l'idée que la fin justifie les moyens.

On soupçonne Machiavel d'avoir fait preuve d'une ruse subversive en publiant ce traité. D'ailleurs Diderot soulignait  " c’est comme s’il eût dit à ses concitoyens, lisez bien cet ouvrage. Si vous acceptez jamais un maître, il sera tel que je vous le peins : voilà la bête féroce à laquelle vous vous abandonnerez".

Le décor de bureau met aussi le texte dans une autre perspective, celle du monde impitoyable de l'entreprise. 

Gouvernants/patrons, employés/sujets, peu importent les termes : le pouvoir par nature s’exerce partout, et s’il est bon d'en reconnaître les excès, il reste difficile d’y échapper.

 

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