Il y a des spectacles énervants mais qui recèlent des instants de grâce qu’il ne faut pas manquer. CARTEL est de ceux-là.
Le concepteur, Michel Schweizer, interpelle d’emblée le public sur le mode pince-sans-rire pour expliquer la présence sur scène de trois cyclistes et un défibrillateur. Il est rejoint par Mael Iger incarnant une sorte d’animatrice de psychothérapie de groupe.
Ajoutez à cela un insistant placement de produit pour une boisson énergisante et vous n’aurez qu’une vague idée de ce contexte irritant, accentué par des lumières aveuglantes.
Qu’est-ce qui empêche de s’enfuir ? La beauté bouleversante qui en surgit.
Voici Jean Guizerix, serein, amusé, danseur-étoile en 1972 et qui nous dit le prix payé par son corps pour atteindre ce sommet. C’est avec les mains qu’il mime les chorégraphies, expliquant qu’ainsi il répétait les pas, pour épargner ses jambes.
Près de lui, explosant de jeunesse dans le carcan disciplinaire de la danse classique, Romain di Fazio, nous montre tout le feu qu’il met dans ses auditions, brûlant d’une implacable ambition. Il fait preuve au passage d'un talent de comédien qui vient à point pour soutenir son propos.
Ils dissertent sur la transmission, la passion et la violence de l’apprentissage, à coups de jetés, battus, fouettés, brisés ; ils évoquent Cunningham, Atanassof, Noureiev, et dansent des figures, sur le mode intime ou spectaculaire.
Nijinski est à l’honneur avec l’ouverture de l’Après-midi d’un faune interprétée par les deux danseurs. Si Romain commence au sol, Jean ne le peut plus et c’est debout qu’il l’accompagne, dessinant des bras cette sensuelle chorégraphie.
Le parfait synchronisme de ce duo évoque la plénitude d’un enchaînement de tai-chi.
Par contraste avec ces corps longilignes, le physique tout rond de Dalila Khatir semble incongru, mais sa voix s’élève comme celle d’un rossignol ou s’impose comme une colère dans les moments les plus furieux.
Elle aurait mérité, sans aucun doute, le temps mobilisé par le verbiage décousu du contexte.
Oui, il y a des spectacles énervants mais qui recèlent des instants de grâce qu’il ne faut pas manquer : CARTEL est vraiment de ceux-là.