A son dernier jour, le Festival Lumière 2014 a projeté à l’Auditorium de Lyon « Le Dernier des Hommes (Der Letzte Mann) de Murnau. Pour cette projection, l’accompagnement à l’orgue par David Cassan est une improvisation de grand talent qui fait écho aux émotions bouleversantes véhiculée par le drame.
Emil Jennings incarne le portier âgé d’un palace qui tire une grande fierté de sa fonction et de son allure imposante dans sa magnifique livrée à brandebourgs. Il joue du sifflet pour héler les taxis, accompagne les riches clients à la porte à tambour et fait décharger les bagages.
Un soir de pluie, les porteurs font défaut et le vieil homme se charge seul d’une malle écrasante. Epuisé, il prend le temps de s’asseoir pour boire un verre d’eau, ignorant que le directeur croit le voir paresser.
Rengorgé dans son bel uniforme, il rejoint son quartier pauvre, saluant les voisins admiratifs d’un geste à la visière de sa casquette.
Il retrouve sa fille qui prépare son gâteau de mariage et c’est un homme à la fois heureux et triste qui va se coucher.
Le lendemain, poussant la porte à tambour pour entrer dans l’hôtel, il découvre avec stupeur qu’un homme en livrée de portier la pousse aussi pour prendre ses fonctions sur le trottoir. On le retrouve dans le bureau du directeur qui lui tend froidement une lettre et se rassied en lui tournant le dos. Dans un moment pathétique, le vieil homme tâtonne à la recherche de ses lunettes et lit péniblement des mots qui se brouillent à l’écran, nous plongeant dans son désarroi.
On lui signifie qu’à cause de son âge, on ne peut plus le garder comme portier mais que par égard pour son ancienneté, on le garde comme garçon de toilettes. Le silence ménagé par l’orgue nous laisse face à un homme en état de choc.
Tel un soldat dégradé, pétrifié, il est dépouillé de sa dignité en même temps que de sa livrée. C’est le dos voûté qu’il rejoint le sombre escalier menant aux toilettes du sous-sol.
Incapable d’admettre la situation, il vole sa livrée en fin de journée et l’enfile pour assister à la fête de mariage de sa fille, buvant et riant comme si de rien n’était. La fête terminée, il s’endort sur une chaise, rêvant de sa gloire passée, se voyant jongler d’une seule main avec une malle que personne d’autre ne peut soulever.
Au matin, la réalité le rattrape et quand une commère découvre sa déchéance, il revient effondré, sous les quolibets, à son appartement désert. Abandonné, il monte à l’appartement de sa fille mais son gendre le repousse comme un paria.
Dévoré de chagrin, il se réfugie dans les toilettes de l’hôtel où le veilleur de nuit le trouve prostré sur une chaise et le couvre de son manteau après lui avoir caressé la tête, seul geste de compassion qu’aura eu quiconque pour cet homme brisé.
L’expressionnisme de la mise en scène, tout en clair-obscur, est au service du réalisme. Murnau et son directeur de la photographie Karl Freund innovent en utilisant tout ce qui est techniquement possible : travelling, surimpression, déplacement…
Anticipant le tournage “caméra à l’épaule”, le chef opérateur la monte sur support mobile pour qu'elle se faufile dans l'action, franchisse la porte à tambour, monte les escaliers, et entre par les fenêtres, rendant la narration particulièment réaliste. Les plans en caméra subjective, de même que les jeux de plongée et contre-plongée décrivent les personnages et états d’âme avec tant d’empathie qu’aucun intertitre n’est nécessaire pour expliquer l’action.
Curieusement, alors même qu’on est sous le coup de la fin tragique, un avis surgit à l’écran : «C’est ici que l’histoire devrait finir car, dans la vraie vie, le vieil homme déchu n’aurait eu guère eu comme perspective que la mort mais l'auteur a eu pitié de son héros et inventé un épilogue à peine croyable.»
Ainsi, on apprend par des articles de journaux qu’un milliardaire frappé d’une crise cardiaque dans les toilettes de l’hôtel a légué au vieil homme toute sa fortune pour l’avoir accompagné dans ce terrible moment. On retrouve donc le héros festoyant dans le restaurant du palace, partageant sa bonne fortune avec le veilleur de nuit lui avait montré de la compassion.
Cette fin complaisante, sans aucun fondement, est comme un déni de toute l’émotion qui précédait et on ne peut que s'interroger sur ce qui a poussé Murnau à ce sabotage.
À l'Hôtel Atlantic de Berlin, le vieux portier (Emil Jannings) a fière allure avec son bel uniforme à boutons dorés. Tout le monde le salue et le respecte. Il est considéré comme une personn...
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