Charles Vanel fut un acteur majeur du cinéma français, tournant de 1912, à vingt ans, pour le cinéma muet, jusqu’en 1988, à 96 ans, dans Les saisons du plaisir de Mocky, en passant par Le Salaire de la Peur, Les Diaboliques, La Belle Equipe ou Sept Morts Sur Ordonnance.
Grâce au Festival Lumière, on découvre son seul opus en tant que réalisateur de long métrage. Il tourna en 1929 le véritable bijou qu’est Dans la nuit. Malheureusement, cette même année sortait Le chanteur de jazz, le premier film qui amorcera la conquête du public par le cinéma parlant.
Vanel, qui décrivait Dans la nuit comme « un drame d’atmosphère ouvrière», a voulu rendre hommage à son père, ouvrier à Jujurieux, dans l’Ain, où le film a été tourné.
En 2002, à la demande du cinéaste Bertrand Tavernier, Louis Sclavis a composé et enregistré une musique tout spécialement pour ce film. Malheureusement, le soir de la projection, nous n’en avons pas bénéficié, pas plus que d’un accompagnement au piano.
Ainsi, comme le film projeté en 35 m a eu peine à démarrer, nous avons connu un moment surréaliste comme public d’un film sans son dont l’image était manquante...
Mais l’attente valait la peine car même en silence, le film est particulièrement prenant avec une sensibilité soulignée par l’utilisation magistrale de la caméra. Plongées, contre-plongées et déplacements latéraux, tout est mis en œuvre pour donner aux images un relief et un rythme remarquables.
La première partie plante le décor de manière quasi-documentaire, montrant les mineurs au travail, le va-et-vient des wagonnets, le tourbillon des machines... Il règne une ambiance laborieuse mais aussi bon enfant quand les hommes se taquinent. Quelques images intercalées préparent à la suite, un joyeux mariage au bord de l’eau où tout le monde se rend, à pied, en carriole et même dans des wagonnets de mine tirés par des chevaux.
A partir de là, c’est un vertige qui s’empare de l’écran et la musique semble résonner quand on voit les pieds battre la mesure avec l’accordéon. Toute la noce se rend à la fête du village, la caméra voltigeant autour de la carriole des mariés enamourés, plongeant sur les chevaux au galop et s’enivrant du mouvement du carrousel dont on croit entendre l'orgue mécanique à voir défiler sa bande perforée.
Très vite, les jeunes mariés, enfin chez eux, s’installent dans un bonheur passionné. Ils se dévorent des yeux et se mangent de baisers. Une ellipse, un peu de texte à l’écran et on arrive plusieurs mois plus tard. Lui, interprété par Vanel, travaille dur et elle, incarnée par Sandra Milowanoff, s’occupe de lui avec amour.
Mais bientôt le drame s’annonce. Retour à la mine où les ouvriers préparent une explosion en plaçant des bâtons de dynamite. Leurs ombres sont immenses et semblent menacer le chantier. Des enfants s’ébattent aux alentours dans le soleil et l’insouciance. L’un d’eux avisant une trompe s’amuse à souffler dedans donnant sans le savoir le signal de l’explosion, alors que le mari comblé est encore dans la grotte.
Un voile sombre semble envahir la scène quand un wagonnet transporte, caché sous une couverture, le corps de l’homme.
Il s’avère que pourtant, il n’est pas mort. Après bien des souffrances, il revient chez lui mais a perdu littéralement la face aux yeux de sa femme : une moitié de son visage est détruite, qu’il doit cacher sous une feuille de métal moulée en masque qui couvre jusqu’à ses lèvres.
Plus de regards, plus de baisers... le couple se défait car la jeune épouse ne parvient guère à surmonter son dégoût, Ses jours se passent dans l’ennui, tandis que lui reprend le travail.
Alors qu’elle se consume, arrive un autre homme qui la presse et veut l’emmener vers une vie meilleure. Il vient la chercher et tandis qu’elle prépare sa valise, sans grands remords, il met par jeu sur son visage le masque de rechange pendu près de la cheminée.
C’est à ce moment que le mari le surprend et qu’une terrible bagarre s’en suit.
Vanel entame alors une escalade dramatique avec pas moins de deux coups de théâtre qui rendent la fin haletante et surprenante au possible !
Le film déjà restauré sur pellicule sera disponible dès l’an prochain sur support numérique et ce n’est que justice car il est tout bonnement magnifique.
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France, 1929, 1h15, muet, noir et blanc
Réalisation & scénario : Charles Vanel
Interprètes : Charles Vanel (l’ouvrier carrier), Sandra Milowanoff (la femme de l’ouvrier)