Que sait-on des choses et des gens ? Ce qu’on en voit, ce que l’on croit en voir ou ce que l’on aimerait qu’ils soient ? Sur cette difficulté qu’il y a à cerner la réalité, Pirandello a écrit la pièce Cosi e (si vi pare) autrement dit « À chacun sa vérité ».
M. Ponza semble séquestrer son épouse et empêcher Mme Frola, sa belle-mère, de lui rendre visite. Harcelé par ses voisins dévorés de curiosité, il explique que sa belle-mère est devenue folle à la mort de sa fille, qu'il avait épousé en première noce. Après son remariage, la belle-mère s'est persuadée du retour de sa fille et s'il l'empêche de la voir, c'est pour la laisser dans une heureuse ignorance.
Or, Mme Frola affirme de son côté que son gendre, devenu fou, n'avait pas reconnu sa femme après qu'elle avait séjourné en maison de repos. Un deuxième mariage avait alors été célébré avec la même femme pour le calmer. Elle souligne que comme il est très gentil, elle a choisi de se contenter de saluer sa fille de loin et de n'échanger que des messages écrits, pour ne pas le bouleverser.
Toutes les explications sont plausibles mais la communauté de la petite ville s'empare de l'affaire jusqu'à l'hystérie collective, exigeant une enquête puis obligeant l'épouse à venir s'expliquer elle-même...
Pour Pirandello, la vérité absolue n'existe pas. Il met en scène l'éternelle énigme de la vie et de l'homme dans toute son infinie complexité, le spectateur étant appelé à saisir par lui-même le sens de ce qu'il voit.
Ce voyage entre illusion et réalité est souligné par le décor : au lieu d'un salon bourgeois, la pièce est jouée sur un palier au croisement de trois escaliers, renforçant l'esprit d'ingérance des voisins. Ils colonisent un espace collectif, surgissent et disparaissent de tous côtés mais, à l'image de leur enquête, ils semblent n'aboutir à rien.
La pièce pourrait être jouée en vaudeville mais le choix de la mise en scène est plutôt dramatique, avec en transition musicale un quatuor à cordes dissonant de Bessera-Schmidt, qui met les nerfs en pelote.
Tout au long des trois actes originaux, le mystère est dévorant d'autant que le personnage Lamberto Laudisi est un provocateur qui ne cesse mettre de l'huile sur le feu en affirmant tout et son contraire. C'est peut-être pour souligner son ambivalence qu'il est joué, ici, en travesti féminin...
La pièce fait beaucoup réfléchir sur les points de vue, la notion de "vérité", la perception d'autrui et les limites à la curiosité. Le final de l'oeuvre originale est d'ailleurs déroutant, comme une mise en abyme.
Pour le coup, je n'ai pas compris ce qui a poussé Julia Vidit et Guillaume Cayet à créer un quatrième acte. Halluciné, piochant dans le Grand Guignol, c'est un délire hystérique dont je n'ai pas eu le sentiment qu'il ajoutait au propos.
C’est comme ça (si vous voulez) d’après Luigi Pirandello - Durée : 2 h 25
Traduction Emanuela Pace - Adaptation, dramaturgie Guillaume Cayet
Mise en scène Julia Vidit - Scénographie Thibaut Fack
Costumes Valérie Ranchoux-Carta
Lumières Thomas Cottereau - Son Bernard Valléry
Comédien.nes Marie-Sohna Condé, Erwan Daouphars, Philippe Frécon, Étienne Guillot, Adil Laboudi, Olivia Mabounga, Véronique Mangenot, Barthélémy Méridjen et Lisa Pajon
Création le 1er mars 2022 à La Manufacture (CDN de Nancy) - Production Théâtre de la Manufacture – CDN de Nancy. Coproduction NEST – CDN transfrontalier de Thionville, Le Trident Scène nationale de Cherbourg, Théâtre des Bergeries - Noisy-le-Sec. Soutien DRAC Grand Est, Région Grand Est, Département de Meurthe-et-Moselle, Ville de Nancy