Vardenis est le village dans lequel a été mis au point un vin rare et extraordinaire, à base de baies d’argousier.
L’argousier (en arménien չիչխան «tchitchran») est un arbuste épineux dont les usages alimentaire, médicinal, horticole et écologique sont connus depuis au moins 1 200 ans.
Les baies sont particulièrement riches en nutriments :
- Vitamines A, C, E, B1, B2, B6
- Acides gras saturés et insaturés (oméga 3 et oméga 6),
- Acides aminés et phénoliques
- Flavonoïdes
- 20 oligo-éléments (azote, phosphore, fer, manganèse, bore, calcium...)
En revanche, le goût est violemment acide et astringent. C’est la raison pour laquelle elles sont consommées sous forme de condiments, confiture, compote, gelée, sirop, jus ou sorbet, en Asie, dans le nord de l’Europe, dans le Caucase et dans le sud de la France.
Si ces préparations sont désormais communes, la production de vin est une autre affaire car la teneur de 15 % en acides gras complique la vinification, du fait de l’oxydation.
C'est là que je vous présente Samvel Madoyan, un homme remarquable du village de Vardenis.
A l’époque soviétique, déjà, il avait beaucoup de cordes à son arc : électronicien, mécanicien, membre de l’Académie des sciences et dégustateur de brandy (le cognac arménien). Ensuite, comme opérateur radio, il a œuvré pendant la guerre du Haut-Karabagh avec une efficacité qui lui a valu le titre de général.
Après sa décharge de l’armée, en 2000, il n’avait pas envie de retourner en ville et s’est cherché une nouvelle activité à exercer à la campagne.
Il avait remarqué les très nombreux argousiers qui poussaient dans la région sans être exploités autrement que pour fixer les sols. Or leurs baies sont particulièrement riches en nutriments car la région du Gegharkunik bénéficie d’un ensoleillement de 259 jours par an. En outre, l’arbuste originaire de Sibérie peut résister à l’hiver arménien.
Samvel a donc commencé à fabriquer de l’huile à usage thérapeutique, en broyant les graines, ainsi que de la confiture, en utilisant du sucre blanc. Toutefois, il a pris conscience qu’une préparation au sucre n’était pas bonne pour les diabétiques et diluait les vertus des baies.
Il a finalement choisi le miel dont les vertus antiseptiques et antibactériennes s’ajoutent aux vitamines des baies. Le miel a des propriétés de conservation remarquables, au point que dans l’Antiquité, les Arméniens y conservaient la viande fraîche.
A partir de là, Samvel s’est donné comme nouveau défi la vinification, en testant divers procédés pour ôter toute trace d'huile dans le jus et garantir une bonne fermentation.
Il lui a fallu près de 4 000 tentatives dans son laboratoire artisanal pour obtenir un vin digne de ce nom.
La première étape est de presser les baies pour séparer les graines de la pulpe, qui est versée dans une barrique. La pulpe est immédiatement additionnée de miel pour l'empêcher de tourner, ce qui arriverait en une seule journée.
Ce mélange est déjà une délicieuse confiture. Il faut savoir que le miel d'Arménie est généralement un miel de montagne de qualité supérieure car il est récolté artisanalement sans subir de traitement. Il y en a 35 g par bouteille de vin.
Pour entamer le processus de vinification, Samvel ajoute de l'eau de source à la pulpe et laisse reposer pour que commence la fermentation. Celle-ci dure deux mois, et la température de garde doit être constamment entre 12° et 15°. L'entrepôt étant très frais, il y a un jeu de bâche pour couvrir les fûts s'il fait trop froid, qu'on retire s'il fait trop chaud.
Tout se joue pendant ces deux mois car une variation de température inappropriée gâcherait toute la préparation.
Après deux mois de fermentation, le mélange est filtré une première fois pour obtenir un jus épais qui est mis au repos pour encore deux mois.
Ensuite, il est filtré à nouveau avant de vieillir au moins deux ans pour développer les arômes et la couleur de la robe.
A ce stade, le vin d'argousier est buvable mais Samvel estime que c'est au bout de quatre ans de vieilissement qu'il devient intéressant et développe ses propriétés revigorantes et détoxifiantes.
Je me suis régalée, à la dégustation, car c'est d'une grande finesse avec un bouquet qui n'est pas sans rappeler une touche subtile d'ananas.
Après le vin, Samvel a développé du vinaigre auquel je n'ai pas trouvé grand intérêt à part les nutriments, et il distille aussi de l'eau de vie à 50°. Novice en la matière, j'ai failli m'étouffer en avalant une gorgée, comme pour le vin.
Après un bon éclat de rire (le sien), j'ai fait une nouvelle tentative en humectant d'abord la langue et le palais pour amoindrir le choc, et c'est là que s'est déployé tout l'arôme du fruit et du miel, intact.
La récolte des baies ne se fait pas, comme je l'aurais supposé, en secouant l'arbre au-dessus d'une bâche. Les rameaux chargés sont coupés puis les baies prélevées une par une à la main, à domicile. C'est une tâche difficile car l'arbuste est épineux.
Le ramassage dure de début septembre à fin novembre, autant dire qu'il finit dans un froid glacial.
Une famille de quatre personnes parvient à livrer environ 18 kg de baies par jour et il faut environ 2 kilos de baies pour faire une bouteille de vin. C'est payé autour de 600 drams le kilo (1,20 euro).
Samvel emploie une vingtaine de personnes à la fabrique, auxquelles s'ajoutent les saisonniers qui apportent les baies. La production annuelle de sa société "Samelon" est de 40 000 litres de vin, dont 8 000 litres sont distillés en eau-de-vie.
Le vin de Samvel est connu comme un produit rare et plutôt haut de gamme, distribué essentiellement en Arménie et en Russie. L'eau-de-vie est également prisée.
J'ai bien acheté une bouteille de chaque mais j'espère que l'exportation en France commencera rapidement !