Dans une lettre à son ami Ferrand, Berlioz disait "J'ai dans la tête une symphonie descriptive de Faust qui fermente. Quand je lui donnerai la liberté, je veux qu'elle épouvante le monde musical".
D'après la traduction que Gérard de Nerval avait faite de Goethe, il écrivit pratiquement tout le livret, sillonnant l'Europe pour nourrir son inspiration.
Sa partition fut conçue comme un oratorio, avec des passages très innovants, un foisonnement de chœurs et seulement quatre personnages : Faust, le savant désenchanté ; Méphistophélès, le rusé tentateur ; Marguerite, l’objet du désir et accessoirement Brander, le buveur de taverne dont la Chanson du Rat est une métaphore du drame qui s’annonce.
La musique est merveilleusement expressive, de la flûte la plus délicate aux timbales les plus martiales. Sous la direction de Philippe Forget, l'Orchestre de l'Opéra de Lyon en a donné une puissante démonstration.
Bien qu'elle suffise à exalter tous les sentiments dont bouillonnent les personnages, l’absence d’indications visuelles a ouvert la porte à toutes les expérimentations scéniques.
Celle du metteur en scène David Marton, avec la dramaturge Barbara Engelhard, est un peu brutale : l'action est transposée en un temps indécis, allant des années 40 aux années 70, par l'ajout de séquences filmées hétéroclites et d'interpolations souvent intempestives à la teneur vaguement politique.
Pour le décor, Christian Friedländer a opté pour une installation unique, dans laquelle un pont inachevé surplombe un paysage désolé.
Sans parler du cheval.
C'est dans une camionnette que Méphistophélès, vêtu comme un comptable, prend Faust en aparté pour lui faire miroiter la possibilité d'une nouvelle vie.
Tentateur facétieux, Laurent Naouri est diablement charismatique. Son timbre de baryton-basse, est aussi puissant qu'enjôleur, porté par un grand sens de la scène.
Charles Workman est un Faust délicat qui compense, par un jeu d'acteur, ses limites dans l'aigu. Malheureusement, dans son grand duo avec Marguerite, il disparaît dans la puissance vocale de la mezzo-soprano Kate Aldrich.
Elle a d'ailleurs presque trop de voix, pour une Marguerite censée être une modeste et très jeune fille. En outre, dans la quatrième partie, son solo s'accompagne d'un affreux jeu de scène, traînant une chaise, sans rime ni raison.
Heureusement, les Choeurs et la Maîtrise de l'Opéra de Lyon, remarquables d'harmonie et de musicalité, sont un enchantement qui compense pour tout le reste.
Ils sont jusqu'à 70 adultes et enfants sur scène, dont des hommes costumés par Pola Kardum en personnages emblématiques de Magritte, sortes de clones démultipliant Méphistophélès comme le mal qu’il répand.
Il y a de bonnes trouvailles mais l'amoncellement de saynètes, les déclamations hors de propos, l'attribution aux choeurs d’une partie écrite pour Méphistophélès, finissent par rompre l'équilibre voulu par Berlioz.
La musique, pour le coup, semble davantage servir la mise en scène de Marton que l’inverse.
On en arrive à souhaiter pouvoir entendre, simplement, la partition comme elle été conçue, dans toute son expressivité pour évoquer les grands thèmes qui perpétuent le mythe de Faust : la solitude, le destin, l’amour, le pouvoir, le désir, la rédemption, la mort…