En général, les hommes ont de la peine à me regarder dans les yeux.
C'est comme ça : j'ai de gros nichons et ça m'énerve. Je sais, il y en a qui paient pour en avoir, qui se font découper et recoudre avec du toc dedans.
Moi, je n'avais rien demandé et je me suis retrouvée en charge de gros nichons, des vrais, des nénés, des doudounes, des roberts, des roploplos. Plein.
Ils se sont sournoisement imposés dès l'âge de dix ans. Le mien, pas celui des seins. Jusque là, j'étais simplement la fille à lunettes.
Au départ, c'était bizarre et inutile puisque l'école n'était pas mixte. Je vous parle d'un temps d'avant le hoquet de mai 68. Ensuite, c'était bizarre et intéressant puisque le collège était plein de gaillards bouillonnants d'hormones.
Pour une raison que je n'ai jamais tout à fait comprise, la seule vision de deux protubérances graisseuses fascine littéralement les mâles hétérosexuels. Je suis devenue la très populaire fille à lunettes AVEC DE GROS NICHONS.
Les garçons étaient fous de moi, toujours à tirer sur les attaches de mon cache-coeur ou à me demander de dire "CAMION" (non, je ne le ferai plus, pas la peine d'essayer, les gars).
Au lycée, pour habiller mes formes généreuses à une époque où les vêtements étaient tous destinés à des hippies faméliques, je me suis acheté un pull marin, dans un magasin pour hommes. Les pulls marins ont les épaules larges et l'encolure tout autant.
A la première récréation, force a été de constater que si subitement tous les garçons s'intéressaient à ma conversation, c'était surtout parce que l'encolure trop large pour ma carrure tendait à glisser de manière très suggestive.
Trop tard.
Le rassemblement n'ayant pas échappé à la SurGé, j'ai été bannie trois jours du lycée pour "Tenue indécente". Ulcérée par cette injustice, je revenue avec un pull à col roulé. Ou plutôt un sous-pull, pièce de nylon dans laquelle on ne pouvait se glisser qu'à l'aide d'un chausse-pied et dont on ne s'extrayait qu'avec un tire-bouchon. L'ironie du col roulé n'a pas échappé à la SurGé, rebelote, "Tenue indécente".
C'était amusant mais ça n'a eu qu'un temps.
La plupart du temps, les nichons, c'est encombrant. Ils sont là, même quand on ne drague pas. On renonce aux chemisiers après qu'en réunion, un bouton a lâché, survolant la table sous les yeux ébahis des banquiers qui ne manquent pas de lorgner illico les dessous de l'affaire. On ne porte plus de débardeur, après avoir failli finir au poste pour racolage, alors qu'on attendait simplement un taxi aux Jacobins.
J'ai découvert qu'un mini-ordi portable n'est pas forcément une bonne idée car la taille du clavier oblige à serrer les mains et donc à comprimer ses nichons, ce qui gêne la respiration.
On ne peut pas courir, ni sauter à la corde ; c'est gênant au billard ou au tir à l'arc. On passe pour une pimbêche en demandant la carafe toute proche, mais se pencher pour l'attraper implique de plonger ses appas dans l'assiette. Tout ce qui glisse de la fourchette tombe très exactement dessus, histoire d'attirer le regard.
Ceci dit, les gros nichons, ça oblige à avoir de l'esprit :
Q. Hé, poulette, ça te gêne pas, tes nichons, pour respirer ?
R. En tout cas, c'est pas tes roustons qui te gênent pour marcher.
Moi, ce que j'aimerais, ce sont des gros nichons rétractables, genre les griffes de Wolverine, quoi.