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Baronne Samedi

Broutilles paraissant le crésudi

Leçon de morale

Publié le 20 Octobre 2011 par Baronne Samedi in Lecture

Ce qui détermine notre comportement d’adulte prend ses racines dans la manière dont on nous a inculqué les rudiments de la vie parmi des étrangers avec lesquels nous sommes contraints de frayer.

 

Au-delà de mes bonnes lectures et quelques cuisantes expérimentations, la meilleure leçon de morale que j’aie jamais reçue me fut donnée par Madame Becker, maîtresse en cours préparatoire.

 

Aujourd’hui encore, je mesure l’influence qu’a eue, sur mes principes, cette anecdote.

 

C’était un beau jour d’encrier. Oui, à l’époque, on tenait à nous enseigner l’écriture à la plume, le stylo à bille n’entrant en vigueur qu’à partir du cours élémentaire.

 

Les encriers étaient de petits récipients en porcelaine blanche insérés dans un trou prévu à cet effet  dans le plateau de nos bureaux.

 

Pour une raison connue seulement de cerveaux biscornus d’enfants de 6 ans, il y avait une gloire notable à  lever bien haut la main en clamant soudain :  « Maîtresse, j’ai plus d’encre ! ». D’ailleurs, dans cette optique, nous ne manquions pas de fourrer  sournoisement dans nos encriers des fragments de craie ou de papier, trop petits pour se voir mais néanmoins susceptibles d’assécher plus vite le récipient.

 

A l’appel de l’encre, la maîtresse se rendait dans une pièce mitoyenne, aux vitres dépolies et revenait portant religieusement une grande bouteille enveloppée d’un chiffon taché de violet, et munie d’un long bec verseur.

 

Or ce jour-là, à peine eut-elle disparu dans la pièce mystérieuse qu’une effrontée se mit à glousser, allant même jusqu’à jeter une boulette de papier ! Je restai pétrifiée devant tant d’audace.

 

Quand une seconde élève puis une troisième répliquèrent, je fus soudain emportée et presque malgré moi, j’en vins à me lever pour en jeter aussi.

 

Au bruit des talons de la maîtresse, le quatuor infernal se rassit, prenant la mine détachée d’un chaton pris le nez dans la crème. Pour tout dire, j’essayais plutôt de me fondre dans le mobilier, la tête rentrée dans les épaules.

 

La maîtresse demanda tranquillement : « J’ai entendu du chahut. Que celles qui l’ont fait se dénoncent pour être punies ».

 

Je sentis mon cœur se liquéfier et mon souffle se figer dans ma gorge.

 

C’est que je n’avais pas l’habitude de la désobéissance, moi, et même si je n’étais pas fière de ce que j’avais fait, l’idée de punition m’était d’autant plus terrifiante que j’en ignorais la nature pour n’en avoir jamais subi.

 

La maîtresse enchaîna : « Si les coupables ne se dénoncent pas, je punirai toute la classe. »

 

Quelle horreur ! J’avais beau être terrifiée,  l’idée que les innocentes Brigitte, Catherine et autres Sylvie soient victimes de nos errements était un sérieux motif de détresse.

 

Tandis que je me débattais avec mon premier vrai dilemme, je vis soudain se lever, à ma grande stupéfaction, une des fauteuses de trouble, cette grande godiche de Nicole qui n’avait même pas commencé. Juste après, je notai que l’instigatrice du mouvement se dégonflait, au propre comme au figuré, réduite à l’état de chiffon sur sa chaise.

 

Alors, moi qui n’avais fait que suivre mais qui n’en étais pas plus innoncente, je me levai aussi, presque malgré moi.

 

Je me levai, la tête haute, pour ne pas laisser seule Nicole et faire face avec elle à un destin pire que la mort (ou quelque chose de ce genre).

 

Nous eûmes  le temps de trembler dans nos chaussettes pendant que Madame Becker se dirigeait calmement vers l’estrade, montait vers son bureau et lentement en sortait une boîte.

 

Un martinet ? Un bonnet d’âne ?

 

Elle prit dans la boîte deux carrés de carton et déclara :

 

« S’il n’est pas bien de faire des bêtises, il est encore pire d’en faire porter à d’autres les conséquences. Parce que vos deux camarades ont fait une sottise, je dis bien fort qu’elles ont été  vilaines…. » (honte, honte) « … mais comme elles ont fait preuve d’un grand courage pour protéger les innocentes, je leur donne à chacune une grande image. »

 

Stupéfaction ! Emotion ! C’était une GRANDE image, en CARTON et en COULEURS !

 

Il faut savoir qu’une bonne note ou un bon comportement rapportaient 1 bon point :

 

BonPoint.jpg

 

Il fallait avoir amassé 10 bons points pour les échanger contre 1 petite image en couleurs sur papier :

 

Imagerecompense.jpg

 

A supposer qu’on fût un parangon de vertu capable d’amasser 10 petites images, on pouvait dans un délire fiévreux espérer une GRANDE image, avec une illustration complétée, joie suprême, d’un poème ou d’une chanson :


grande-image.jpg

 

Et moi, l’élève sans histoires, toujours tranquillement quatrième de la classe, je l’avais  gagnée ce jour-là uniquement parce que j’avais été honnête.

 

Si la valeur des images est aujourd’hui bien faible, à cette époque où l’impression en couleurs était un luxe, cette récompense a eu un effet magnifique.

 

Cette Madame Becker m’a donné la plus belle des leçons de morale, bien longtemps avant les discours ampoulés des théoriciens de l’éducation.

 


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