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Baronne Samedi

Broutilles paraissant le crésudi

Le Tartuffe - Molière/Benoît Lambert - Théâtre de la Croix-Rousse

Publié le 13 Mars 2016 par Baronne Samedi in Art et spectacles, Théâtre, Théâtre de la Croix-Rousse

Le Tartuffe est un bijou dont la charge n'est pas tant un brûlot anti-religion qu'une étude de caractères dont les dialogues mordants, s'ils sont très drôles, recèlent une profonde réflexion.

Voici Orgon, un homme riche et influent, confronté à Tartuffe, qui l'impressionne par sa dévotion. Subjugué, il finit par l'installer chez lui, ouvrant ainsi sa porte à un escroc qui en veut à sa fortune et voudrait bien culbuter sa femme.

On pourrait plaindre le bourgeois s'il n'était lui-même un de "Ces gens qui par une âme à l'intérêt soumise, font de dévotion métier et marchandise".... C'est un égoïste sans estime pour sa  famille, que sa fille qualifie de "père absolu" et qui déclare volontiers "Faire enrager le monde est ma plus grande joie"

On peut dire qu'Orgon s'est offert Tartuffe pour être pieux par procuration, et l'éblouissante interprétation qu'en fait Marc Berman est parfaite dans ce sens,

Orgon s'est trouvé un miroir embellissant dont aucune critique ne saurait le détourner car il lui donne le droit d'être confortablement indifférent à autrui. 

C'est flagrant à la scène V de l'acte I. Benoît Lambert le met en scène dînant seul, servi par Dorine qui essaie, désespérément de l'intéresser à la vie de la maison. A chacun des exposés, il n'a qu'une réponse : "Et Tartuffe ?" 

La servante est incarnée avec truculence et conviction par Martine Schambacher qui fait passer beaucoup d'émotions et se paie le luxe de modifier judicieusement une des répliques...

Le contraste est tel qu'on reconnaît chez Orgon le signe que Tartuffe, qu'on n'a pas encore vu, applique sur lui une méthode que les sectes emploient encore : "Oui, je deviens tout autre avec son entretien, Il m'enseigne à n'avoir affection pour rien ; De toutes amitiés il détache mon âme ; Et je verrais mourir frère, enfants, mère, et femme, Que je m'en soucierais autant que de cela.".

Photo de Vincent Arbelet

Photo de Vincent Arbelet

Le metteur en scène souligne d'ailleurs  "On retrouve dans Tartuffe une question qui traverse toute l’œuvre de  Molière [...]  celle de l’homme en proie à une passion singulière qui finit par le rendre ridicule aux yeux du monde. Orgon, Alceste, Arnolphe, Harpagon, Argan, Monsieur Jourdain... tous sont animés par une idée fixe, presque un délire [...] ".

Photo de Vincent Arbelet

Photo de Vincent Arbelet

Pour expliquer que Tartuffe soit objet d'une telle passion, il faut un comédien solide et Emmanuel Vérité relève brillamment le défi. Dans son tête à tête avec Dorine, il dégaine le fameux mouchoir avec allant et ce n'est pas le seul sommet.

Quand Elmire, portée crescendo par une magistrale Anne Cuisenier, le séduit pour le piéger, il nous fait ressentir tous les tourments que lui cause son désir au risque de se trahir.

Tour à tour onctueux, cabotin, cynique ou facétieux, Emmanuel Vérité donne corps à l'intention de Benoît Lambert qui est de faire de Tartuffe non pas un monstre haïssable mais plutôt un voyou fauché qui a trouvé un pigeon pour améliorer sa condition.

Sur la foi de grands baratins, Orgon a dépouillé son propre fils et veut marier sa fille contre son gré. Il a même donné à Tartuffe sa maison et les moyens d'un chantage.

Le bourgeois s'est perdu, le gueux a gagné et s'il n'y avait une famille qui vole en éclat, on en jubilerait.

Photo de Vincent Arbelet

Photo de Vincent Arbelet

Seulement, voilà, on ne joue pas la lutte des classes devant Louis XIV, alors la pièce ne se termine pas sur cette logique implacable, qui veut que la famille bourgeoise soit chassée de la maison dont Tartuffe est devenu le maître.

Par un procédé indigne, Molière fait surgir un messager pour dire que tout est arrangé par la sagacité du "Prince bienveillant"  dont l'action salvatrice est  "le prix qu'il donne au zèle qu'autrefois [on vit Orgon] témoigner en appuyant ses droits"...

Benoît Lambert a beau tourner la scène en ridicule, la morale de l'histoire n'en reste pas moins qu'honnêtes ou pas, les riches, eux, ont toujours le choix.

Texte de Molière - Mise en scène de Benoît Lambert -  Création au Théâtre Dijon Bourgogne

Marc Berman (Orgon, mari d’Elmire) Anne Cuisenier (Elmire, femme d’Orgon) Stéphan Castang (Mme Pernelle, mère d’Orgon) Emmanuel Vérité (Tartuffe, faux dévot/Monsieur Loyal/l’Huissier) Martine Schambacher (Dorine, suivante de Mariane) Paul Schirck (Damis, fils d’Orgon) Étienne Grebot (Cléante, beau-frère d’Orgon) Aurélie Reinhorn (Mariane, fille d’Orgon et amante de Valère) Yoann Gasiorowski (Valère, amant de Mariane) Florent Gauthier (Laurent, valet de Tartuffe) Camille Roy (Flipote, servante de Mme Pernelle /l’Exempt) Raphaël Patout (Un sergent)

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