Un long trajet m’attend pour rallier Tortuguero, au nord-est, sur la côte caribéenne. C’est un village qu’on ne peut atteindre qu’en bateau, le long d’un grand canal.
Un chauffeur, Gustavo, me prend donc à 5 h 30 pour me conduire en environ trois heures au point de départ des navettes vers l’embarcadère où je serai prise en charge par un guide.
A mesure qu’on s’éloigne d’Arenal pour traverser la région de Sarapiqui, les maisons sont plus nombreuses et il y a plus de commerces. Il y a beaucoup de camions sur la route car nous entrons dans une zone dédiée à l’exportation de fruits, en passant par des ports de la côte est.
La route est longue, surtout à l’aube, mais en papotant avec Gustavo, j’apprends qu’à ses heures, il compose des chansons et se produit dans des soirées, ou chante avec des amis. Il accepte de chanter pour moi et c’est une chance car il a une très jolie voix et des mélodies enchanteresses.
Au bout de deux heures, nous faisons une pause dans une soda, pour boire un café.
Il est près de 8 h 30 quand nous arrivons au point de rendez-vous, un restaurant où un monde fou est en train de déjeuner. Mon guide s’appelle Warner, alors qu’il a des traits caractéristiques des Indiens, le contraste est amusant mais je n’ose pas lui demander si ses parents étaient passionnés de cinéma...
En route pour l’embarcadère, il m’alimente d’informations sur la région de Guapiles, qui signifie « confluent ». Originellement elle était très boisée car dédiée aux cacaotiers qui, comme les caféiers, doivent pousser à l’ombre d’arbre plus grands.
Or, dans les années 1980, les industriels de la culture intensive d’ananas et de bananes (Chiquita, DelMonte..) se sont littéralement emparés du territoire, par des manœuvres douteuses d’expropriation, et ont arraché tous les arbres car ces fruits exigent un ensoleillement constant.
A cela s’est ajoutée la plantation de palmiers à huile et d’eucalyptus, avec une conséquence néfaste pour la flore locale car ils augmentent l’acidité du sol, et pour la faune qui ne s’en nourrit pas.
L’ananas et la banane restent mais le gouvernement mène une campagne de reboisement afin de diversifier les revenus locaux.
L’arbre favorisé est le melina, importé d’Inde, dont le bois est à la fois robuste et léger. Il pousse très vite, se renouvelle sans peine et sert à fabriquer des palettes pour le transport en conteneurs.
Nous passons devant une exploitation de bananes. C’est une activité polluante car les feuilles sont fragiles et les pesticides vont bon train. La culture bio, trop coûteuse pour l’exportation, n’est assurée que par une seule plantation.
Warner m’explique les bananes sont mûres au bout de 36 mois. Les sacs en plastique qui les enveloppent les protègent des morsures d’insectes et portent une date qui indique quand décrocher le régime pour qu’il soit livré en l’état voulu.
Lorsqu’il a la bonne maturité pour la cueillette, il est accroché au crochet d’un rail et le tout est tiré jusqu’à l’entrepôt de conditionnement par un homme équipé d’une sangle autour de la taille. A faire cela toute la journée, cela représente 40 à 45 km par jour, et rapporte au plus dans les 30 euros par jour.
Ces travailleurs sont en si bonne condition que lorsqu’un footballeur est mauvais, on dit de lui qu’il devrait aller faire un stage dans une plantation...
Les plantations d’ananas sont aussi génératrices de pollution. Pour l’anecdote, un botaniste a réussi à mettre au point un ananas plus résistant et plus sucré mais parce que l’écorce reste verte en mûrissant, il peine à s’imposer sur le marché.
Il s’avère que l’ananas comporte des acides excellents pour la digestion mais qu’il ne faut pas en manger à jeun car la combinaison directe avec les sucs gastriques est néfaste.
Nous reprenons la route et soudain, coup de chance, Warner repère un paresseux qui bouge pour se nourrir.
Il est seul car le paresseux ne s’installe pas en couple. Il copule pendant 48 heures et s’en va, laissant la femelle se charger du petit qui naît au bout d’une gestation de 11 mois. Il est ensuite porté contre le ventre pendant 7 mois. Les paresseuses n’ont pas de tétons et donc n’allaitent pas.
Le petit est nourri des défécations de sa mère dans lesquelles les feuilles sont prédigérées. Il apprend ainsi à reconnaître ce qui est comestible.
Après l’avoir observé pendant quelques mois de sevrage, la mère le pousse à se trouver un territoire, et il devient adulte à 2 ans.
A peine a-t-on repris la route que le guide repère un singe hurleur grâce à sa queue puis à ses roustons qui sont la seule partie blanche de son corps.
Quand il s’en va, nous reprenons la route.
Je vois des choses qui m’intriguent et il s’avèrent que ce sont des nids d’oiseaux.
Il est 11 h et le temps est superbe. Nous remontons la rivière Suerte pour entrer dans le parc national.
La balade est vraiment agréable et c'est un plaisir d'observer les berges, en vitesse lente, sur la partie étroite. Ensuite, dans la lagune, le canot prend de la vitesse et la sensation des embruns est grisante, avant de terminer en cabotant dans des canaux étroits.
Tortuguero est un village de bric et de broc, pratiquement entièrement dédié au tourisme de la pêche et de l'observation des tortues.
Il est au coeur du parc national aquatique et forestiers, une lagune accessible uniquement par avion ou bateau qui abrite dans un enchevêtrement de quelques centaines de canaux plus ou moins praticables.
Le parc de plus de 300 km2, est surtout connu pour l’observation, sur ses plages, de la ponte des tortues marines.
Dans les années 1960, les tortues vertes ont frôlé l’extinction, en raison d’un braconnage massif, et c’est à cette période que l’herpétologiste américain Archie Carr créera la Caribbean Conservation Corporation, chargée d’étudier et protéger les populations de tortues marines.
Archie Carr parviendra à établir un sanctuaire à Tortuguero en 1963, qui deviendra par la suite le Parc National du Tortuguero, en 1970. Dès lors, la présence de chercheurs et gardes-forestiers va accroître la protection des tortues et leur observation est désormais très encadrée. Chaque année, entre juillet et octobre, près de 30 000 tortues vertes viennent déposer leurs œufs sur les 35 kms de plage du parc.
Les tortues ont été si perturbées qu'une grande partie est repartie en mer, abandonnnat un rituel pourtant essentiel à leur survie. A cause de ce désastre, des mesures encore plus restrictives vont être prises pour limiter l'accès.
Quand on connaît la fragilité et l'importance de l'écosystème, on se prend à rêver des travaux forcés pour les crétins qui viennent au paradis juste pour y apporter l'enfer.
Attirée par un attroupement, je vois un vendeur de petites noix de coco, moyennant 500 colones (moins d'un euro). Il ouvre le sommet pour qu'on puisse boire l'eau avec une paille, puis il les coupe en deux pour décoller la pulpe avec une cuillère.
Un café et du linge qui sèche... oui, je sais, mais je n'en avais encore pas vu depuis le début du voyage.
L'escale a été courte, mais le bateau est déjà là.
L'air est chargé d'odeurs de végétation, et c'est bruyant ! Il y a les cris de toutes sortes : stridulations, caquètements, grognements, sifflements, grincements... sans oublier le grondement de la mer des Caraïbes.
Au déjeuner, j'ai une bonne et une mauvaise surprises.
La bonne, c'est de manger du manioc pour la première fois. Il est servi en morceaux, avec la consistance d'une pomme de terre très cuite à l'extérieur et encore ferme à l'intérieur. C'est jaune, un peu crémeux et sucré.
La mauvaise surprise, c'est que je ne verrai pas de tortues ! Je savais bien que ce n'est pas la saison de la ponte des tortues vertes mais je pensais en voir d'autres, dans un centre de conservation, par exemple, mais Warner me dit que ça n'existe pas. Quand je pense au trajet que j'ai fait en pure perte, je suis bien déçue.
L'après-midi est libre, donc je traverse le jardin pour aller à la plage. Je dis bien jardin car le domaine est soigneusement entretenue par des jardiniers : sans ça, je suppose que la jungle prendrait le dessus.
En fait, je ne me baignerai pas : l'eau est froide, avec un fort courant et, surtout, Warner m'a prévenue que des raies manta on été vues à moins de 30 m du bord.
Je me contente de marcher un peu, avec l'eau aux chevilles, car malgré tout, c'est la mer des Caraïbes avec tout ce que ce nom évoque !
Pour la détente avant le dîner, jolie découverte :
Au dîner, on nous montre où sont les bonbonnes d'eau filtrée car l'eau du robinet n'est pas potable. En outre, comme dans la plupart des endroits, le papier hygiénique doit être jeté dans un seau, et non dans la cuvette des toilettes, pour ménager l'écosystème.
c'est encore plus bruyant car les animaux sortent la nuit et quelques averses tambourinent sur le toit.
Je me raisonne car je doute qu'un jaguar puisse ouvrir la porte et la fatigue aidant, je plonge dans un très bon sommeil.