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Baronne Samedi

Broutilles paraissant le crésudi

En attendant Godot - Beckett/Fréchuret

Publié le 20 Janvier 2016 par Baronne Samedi in Art et spectacles, Théâtre

Selon sa biographe, Deirdre Bair, Beckett a déclaré :  « J'ai commencé d'écrire Godot pour me détendre, pour fuir l'horrible prose que j'écrivais à l'époque  […]  la sauvage anarchie des romans ».

Est-ce pour cela qu’En attendant Godot prête à rire alors que le propos, pour être mince, n’en est pas moins triste ?  

Le Théâtre de la Croix-Rousse donne jusqu’au 30 janvier cette pièce étrange qui relève de l’absurde, même si Beckett refusait cette étiquette.

Le décor ? Arbre sec et vieille cagette.

Les personnages ? Vagabonds et vague à l’âme. 

Voici deux clochards qui s’agacent et se chamaillent ; heureux ni ensemble ni séparés.  Estragon fut poète, c’est aujourd’hui un vieil homme capricieux. Il joue avec malice de sa faiblesse pour  tourmenter Vladimir qui est plus jeune et se veut capable de philosophie.

Ils traînent, pensent à se pendre, s’inquiètent, essaient de raconter une blague,  machônnent leur  inquiétude… avec comme seule explication à leur voyage immobile qu’ils doivent attendre un certain Godot.  L’ennemi, c’est l’ennui mais chaque fois qu’Estragon dit qu’il faut partir, Vladimir assène « On ne peut pas, on attend Godot » et les deux sourient comme à l’idée du paradis. 

Jean-Claude Bolle-Reddat fait d’Estragon une sorte d’auguste, tout en nuances, à la fois pathétique et  increvable, avec des mimiques proprement hilarantes.

Face à lui David Houri compose un Vladimir sérieux et compatissant, une sorte de clown blanc.

Godot  n’est joué par personne puisque tel l’Arlésienne : on répète qu’il faut l’attendre, mais on ne le voit jamais. Apparemment, il est l’espoir d’un changement magnifique mais de lui, on ne sait rien. 

Arrive le farouche  Pozzo qui tient en laisse un homme étrangement nommé Lucky.  Ils procurent aux vagabonds une distraction bienvenue. Vincent Schmitt, au physique sombre et râblé, est le Pozzo qui commande d’une voix forte un Lucky diaphane et dégingandé, dont Maxime Dambrin parvient à faire un être fascinant.

© photo Christophe Raynaud de Lage

© photo Christophe Raynaud de Lage

S’en suit un intermède impressionnant où nous sommes spectacteurs, comme les vagabonds, d’une étrange relation maître/esclave, dans laquelle on ne sait plus finalement si quelqu’un est à plaindre, et puis c’est reparti pour l’acte II…

Estragon a oublié la veille, Pozzo et Lucky reviennent, l’un se disant aveugle, l’autre devenu muet et tous soudain se débattent pour rester debout. Vladimir seul se souvient des événements de la veille et comprend la futilité de leur existence. Il reste en scène avec Estragon mais quand celui-ci conclut   « Allons-y », aucun des deux ne bougent.

Le mystère reste entier quant à l’endroit où sont figés  Vladimir et Estragon ou ce que représente  Godot.  Des théories entières ont été écrites que Beckett n’a jamais validées mais  il s’est sans nul  doute amusé à concevoir cette sombre farce.

Bien qu’irlandais, il l’a écrite en français, prenant un malin plaisir à souligner qu’il en maîtrise le maniement, avec ces répliques que David Houri met bien en valeur  :

  • Vladimir :  Il s'en est fallu d'un cheveu qu'on ne s'y soit pendu. (Il réfléchit.) Oui, c'est juste (en détachant les mots) qu'on - ne - s'y - soit – pendu.

       ou

  • Vladimir - Ça tire l'œil.
  • Estragon - C'est vrai.
  • Vladimir - Malgré qu'on en ait.
  • Estragon - Comment ?
  • Vladimir - Malgré qu'on en ait.

On repart aussi hilare que perplexe, avec le sentiment d’avoir partagé un grand moment d’humanité, sans vouloir forcément rejoindre la cohorte des intellectuels qui ont voulu expliquer la pièce.

Laurent Fréchuret a su livrer un moment magique et c’est tout ce qui importe.

© photo Christophe Raynaud de Lage

© photo Christophe Raynaud de Lage

Une production du Théâtre de l'Incendie - Mise en scène de Laurent Fréchuret
Scénographie de Damien Schahmaneche

Avec Jean-Claude Bolle-Reddat (Estragon), David Houri (Vladimir), Vincent Schmitt (Pozzo) et Maxime Dambrin (Lucky), Antoine Besson (Le garçon)

Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon, du 19 au 30 janvier 2016  puis en tournée
Théâtre de Privas,  4 & 5 février  /  Grand Angle, Voiron,  8 & 9 février
Théâtre de Roanne, 12 février  / Théâtre de Villefranche-sur-Saône, du 1e  au 3 mars
Théâtre des Pénitents, Montbrison, 5 mars / Théâtre du Vellein, Villefontaine, 10 &11 mars
La Saison culturelle, Firminy, 17 mars 2016.

 

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